JUSTICEPourquoi la justice française convoque un ancien chef de Guantanamo

Pourquoi le général Miller, ancien chef de Guantanamo, est convoqué par la justice française

JUSTICEPrès de quatorze ans après l'ouverture du camp de Guantanamo, la justice française a convoqué un ancien commandant de cette prison américaine très controversée...
Laure Cometti

Laure Cometti

Le général Geoffrey D. Miller brille par son absence ce mardi à Paris. Cet ancien commandant de la prison de Guantanamo est convoqué par la justice française qui enquête sur des accusations de torture dans ce centre de détention créé en 2002 pour les détenus soupçonnés de terrorisme, après les attentats du 11-Septembre. Le fait de ne pas venir à cette convocation, qui n'était pas accompagnée de moyen coercitif, est « un double mépris pour l'autorité judiciaire française: il refuse de comparaître et de fournir la moindre explication sur son rôle et sur celui de l'administration américaine », a déploré Me William Bourdon, avocat des deux hommes. 20 Minutes fait le point sur cette affaire.

Pourquoi le général Miller est-il convoqué devant la justice française ?

A l’origine, il y a une plainte contre X pour séquestration, détention arbitraire et actes de torture, déposée par deux Français ayant passé deux et trois ans derrière les barreaux de Guantanamo. Nizar Sassi et Mourad Benchellali avaient été arrêtés par les forces américaines en Afghanistan avant d’être incarcérés dans la base cubaine dès 2002, puis renvoyés en France. C’est dans le cadre de cette enquête que la juge d’instruction a convoqué le général Miller qui a supervisé la prison de novembre 2002 à avril 2004.

Pour les parties civiles, qui réclamaient cette audition depuis 2014, cette convocation a un léger goût de victoire. « C'est une première étape importante, et ce d’autant plus que les Etats-Unis ont toujours refusé toute coopération avec la Justice française dans ce dossier », affirme à 20 Minutes leur avocat William Bourdon.

« C’est une excellente nouvelle, symbolique et je dirais même historique », abonde Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France, qui dénonce « l’impunité » des autorités américaines et la « chape de plomb » abattue sur la torture perpétrée à Guantanamo.

Vue de la base militaire américaine de Guantanamo.
Vue de la base militaire américaine de Guantanamo. - SIPANY/SIPA

De quoi est-il soupçonné ?

Le général Miller est soupçonné d’être impliqué dans de mauvais traitements infligés aux prisonniers de Guantanamo. Un rapport de la commission sénatoriale des Forces armées américaines, publié en 2008, indique qu’il existe des preuves que certaines techniques d’interrogatoire (telles que placer les détenus dans des postures contraintes ou dégradantes, les simulations de noyade ou l’utilisation agressive de chiens) ont été employées à l’époque de son commandement. Des allégations appuyées par plusieurs rapports émanant d’associations contre la torture comme le Centre pour les droits constitutionnels.

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« Ça me fait un peu plaisir dans le sens où tout ce qui se passait là-bas, c’était lui. Il venait s’assurer lui-même que tout se passait bien. Il passait nous voir dans les interrogatoires. Ils m’ont fait subir un parcours inhumain, mais sans me connaître », a réagi Nizar Sassi sur RMC après l’annonce de la convocation.

Quel peut être l’impact de cette convocation sur l’enquête ?

Le général Miller ne risque pas grand-chose s’il ne se rend pas à Paris pour honorer sa convocation, qui n’est pas assortie de mesure coercitive. La juge pourra dresser un procès-verbal de non-comparution. Mais les parties civiles n’en resteront pas là. « Nous demanderons au juge d’instruction de tirer toutes les conséquences de ce refus de comparaître et de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre du général Miller », indique William Bourdon. Une mesure qui pourrait s’avérer contraignante même si chaque pays est libre d’arrêter ou non un individu visé par une notice rouge.

La France est le dernier pays où une procédure pénale sur les conditions de détention à Guantanamo est en cours. En Espagne, la procédure menée à l’égard de l’ancien président des Etats-Unis George W. Bush, l’ex-vice-président Dick Cheney, l’ex-secrétaire de la défense Donald Rumsfeld et les généraux Michael Lehner et Geoffrey Miller, a été enterrée en janvier 2016. Pour Geneviève Garrigos, « c’est pour cela que la convocation du général Miller devant la justice française est aussi importante. Il faut que les Etats-Unis réagissent, qu’ils rendent des comptes sur les actes de tortures. »

Quant à Mourad Benchellali Nizar Sassi, « ils souhaitent bien sûr que les responsables des crimes dont ils ont été victimes répondent de leurs actes devant la justice, et ce d’autant plus que la France est le dernier pays où une procédure pénale est en cours s’agissant de l’arrestation, de la détention et des tortures subies par les détenus de Guantanamo », précise leur avocat.

Infographie sur Guantanamo
Infographie sur Guantanamo - AFP

Plus de quatorze ans après l’ouverture de Guantanamo, la prison militaire que Barack Obama cherche à fermer depuis 2009 renferme encore 91 détenus qu’il faudra transférer s’il veut tenir sa promesse de campagne. Un pari qui n’est pas gagné d’avance étant donné l’opposition du Congrès, dominé par les Républicains.

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