CINEMA«Salafistes», plombé par la polémique et l'interdiction aux mineurs

VIDEO. «Salafistes» arrive en salles, plombé par la polémique et l'interdiction aux moins de 18 ans

CINEMALe documentaire sur l’islam radical a été interdit aux moins de 18 ans par le ministère de la Culture ce mercredi...
Nicolas Beunaiche

Nicolas Beunaiche

François Margolin et Lemine Ould M. Salem se seraient bien passés de ce « privilège ». Après plusieurs semaines de remous, le ministère de la Culture a finalement décidé ce mercredi d’interdire leur film, Salafistes, aux moins de 18 ans, avec avertissement *, suivant ainsi la préconisation de la commission de classification des œuvres du Centre national du cinéma (CNC). Du rarement vu pour un documentaire.

« #Salafistes de @FrMargolin & @lemineoms : interdire ce film serait une bêtise et une faute. — Laurent Larcher (@LaurentLarcher) January 26, 2016 »

« Il va falloir expliquer à certains ce qu’est un documentaire. #observateur #journaliste #scientifique #soupir — Jacques Raillane (@AbouDjaffar) January 25, 2016 »

La mobilisation sur les réseaux sociaux et dans différents médias n’aura rien changé. La décision de couper la scène de l’assassinat du policier Ahmed Merabet par les frères Kouachi, qui avait pu choquer, non plus. Et voilà le documentaire, fruit de trois ans de travail, plombé avant même d’avoir fait vendre son premier billet d’entrée.



Sans commentaires

Ce que ses détracteurs reprochent au film, c’est d’abord son parti pris de tendre le micro aux salafistes. « Aurait-on filmé un gestapiste à l’œuvre ou Himmler expliquant qu’il fallait gazer les Juifs […] ? La fragilité de la démocratie repose sur son immense ouverture aux idées les plus diverses. Il n’est pas certain que cette tolérance aille jusqu’à donner à ses ennemis les armes pour l’abattre », résumait ainsi un éditorial de L’Alsace, mardi matin.

De fait, jamais aucun documentaire n’avait donné la parole aux salafistes comme le fait celui-ci. Mais pour Lemine Ould M. Salem, c’est justement ce qui fait sa force. « Nous pensons que ce documentaire est de salubrité publique, assurait mardi le coauteur du film à 20 Minutes. Pour combattre le discours des salafistes, il faut le comprendre, savoir sur quoi il repose… » Quant aux parents, « on leur donne des moyens pour répondre aux questions de leurs enfants », estime-t-il.

N’aurait-il pas fallu cependant ajouter des commentaires pour contrebalancer la parole libérée qui s’exprime dans le film ? Les auteurs balaient ce qu’ils considèrent comme un faux procès. « Nous n’avons pas voulu prendre le spectateur pour un enfant et lui imposer une manière de penser, explique Lemine Ould M. Salem. Nous pensons simplement que les gens sont assez intelligents pour se faire une opinion par eux-mêmes. » Une logique qui justifie, selon eux, la reprise d’images de propagande de Daesh, sans plus de précisions.

Une œuvre froide

Ce que donne à voir le film, que nous avons vu en projection privée en novembre, c’est effectivement une parole sans filtre. Du Mali à la Syrie en passant par la Tunisie, le spectateur prend en pleine face le discours de propagande des salafistes, implacable mais aussi terriblement conceptualisé et construit. Il y a bien sûr de la violence, comme celle qui coûte une main à un plombier de Tombouctou accusé de vol, celle des attentats de janvier à Paris ou de Daesh en Syrie et en Irak, mais rien que les salafistes ne justifient par une doctrine sans pitié.

On y voit aussi leur incompréhension des valeurs qui fondent la démocratie ou, au choix, leur sens de la provocation, comme lorsqu’un cheikh mauritanien lance que « les trois martyrs [les frères Kouachi et Amedy Coulibaly] n’ont fait qu’exprimer leur liberté d’expression » en janvier 2015. On y voit enfin leurs mensonges ou leur aveuglement, quand ce même cheikh assure par exemple que Mohamed Merah n’a pas tué d’enfants. Bref, les images et le propos sont froids, puissants, bruts. Trop, pour les autorités, qui ont donc préféré sacrifier le film.

Un film déjà « mort »

A court terme, cette campagne de pub à moindres frais boostera peut-être les entrées du documentaire dans les deux salles parisiennes qui le diffuseront, selon le décompte d’Allociné. Mais la décision des autorités pourrait s’avérer désastreuse à plus long terme pour la carrière de Salafistes.

Car désormais, il est acté que le documentaire ne pourra pas passer à une heure de grande écoute sur une chaîne de télévision. Sur le petit écran, seules certaines chaînes accessibles par abonnement sont en effet autorisées à diffuser les films interdits aux moins de 18 ans entre minuit et 5 heures du matin. L’interdiction aux moins de 18 ans, « c’est donc la mort du film », prophétise Lemine Ould M. Salem.



* Cet avertissement sera : « Ce film contient des propos et des images extrêmement violents et intolérables, susceptibles de heurter le public ».