TERRORISMEDeux mois après l'assaut de Saint-Denis, l'attente des familles pour être relogées est devenue «insupportable»

Deux mois après l'assaut de Saint-Denis, l'attente des familles pour être relogées est devenue «insupportable»

TERRORISMESur les quarante et une familles qui vivaient dans le même immeuble que les terroristes, seulement la moitié s’est vue offrir une proposition de relogement…
Hélène Sergent

Hélène Sergent

Sur le visage de Kahina, 31 ans, se lisent la fatigue et la lassitude. « J’ai toujours du mal à dormir », confie la jeune femme, agent de nettoyage, résidente pendant un an, au 48 rue de la République à Saint-Denis. Depuis la nuit du 17 au 18 novembre 2015 et l’assaut lancé par le RAID contre « l’appartement conspiratif » où s’étaient réfugiés Abdelhamid Abaaoud et ses complices, Kahina et ses voisins n’ont cessé de se battre. Pour le respect de leurs droits et la reconnaissance par l’Etat, de leur statut de « victimes d’actes de terrorisme ».

Urgence et abandon

Deux mois se sont écoulés depuis l’intervention spectaculaire de l’unité d’élite de la police. Sur la façade de l’immeuble, situé à l’angle de la rue de la République et de la rue du Corbillon, à deux pas de la Basilique de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), on distingue encore les impacts de balles. La porte d’entrée, scellée, est désormais blindée et protégée par un grillage. Les fenêtres, elles, ont été obstruées par des planches de bois.

« Ça fait mal au cœur de revenir ici », souffle l’ancienne résidente. Au total, 41 familles, 79 personnes dont 26 enfants, ont dû quitter leurs logements, ravagés par endroits par les explosions et les 5000 munitions tirées par le RAID. Hébergés pendant une semaine dans le gymnase Maurice Bacquet de Saint-Denis, les locataires et habitants se sont ensuite vus proposer des solutions d’urgence. Kahina, comme son ami Nordine, touché au bras par une balle au moment de l’assaut, vivent désormais à l’hôtel Campanile de la ville. Les familles avec enfants ont été redirigées vers des résidences sociales. Des conditions pénibles qui s’accompagnent d’un profond sentiment d’abandon de la part de l’Etat.


« Du mépris et du déni »

Présents aux côtés des « habitants du 48 », nom de l’association créée quelques semaines après l’assaut, les militants du DAL (Droit au logement) accompagnent les familles dans leurs demandes de relogement et de reconnaissance. « Plusieurs réunions ont été organisées avec les services de la Préfecture et de la mairie, témoigne Jean Baptiste Eyraud, fondateur du DAL, mais aucun représentant des habitants n’a pu y assister. Ils ont vécu cette décision comme un déni, du mépris de la part du Préfet délégué pour l’égalité des chances, Didier Leschi ».

A la mairie, Stéphane Peu, adjoint en charge des questions d’urbanisme, dénonce « le blocage » orchestré par les services de l’Etat : « La ministre du Logement, Sylvia Pinel, avait assuré que l’Etat financerait en partie l’effort de relogement des familles. Un comité de pilotage a été mis en place, mais il ne s’est réuni qu’une seule fois et là encore les représentants des familles n’ont été ni reçus ni conviés ». Selon l’élu, seuls 14 relogements seraient effectifs. Vingt-deux propositions émanent de l’office HLM de la ville et quatre des services de la Préfecture.



Le choc puis la colère

Si la question du relogement est fondamentale pour les « victimes du 48 », d’autres difficultés viennent appesantir le quotidien des familles. « Certains enfants sont encore très perturbés par ce qu’ils ont vécu. Nous avons demandé auprès de l’ARS un renfort de l’unité psychologique pour le suivi des habitants mais nous n’avons pas obtenu de réponses » confie l’adjoint au maire de Saint-Denis. Le choc, encore vivace dans les récits des résidents, s’est accompagné, pour certains, d’une décision administrative aux conséquences dramatiques.

Parmi les 79 habitants, trois jeunes marocains et deux Égyptiens sans-papiers ont reçu une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), quelques jours après leur prise en charge à l’hôpital ou leur placement en centre de rétention, certaines ont été annulées et des procédures en appel auraient été lancées. « L’Etat pourrait faire preuve d’humanité, et pourrait considérer ces gens comme des victimes collatérales d’actes de terrorisme, s’étrangle le porte-parole du DAL, les familles se disent que si l’assaut avait eu lieu dans un immeuble bourgeois du 16e arrondissement, ils auraient été reçus et traités différemment… ».

Depuis le 18 novembre, Kahina vit au ralenti. Son employeur a diminué son nombre d’heures travaillées en semaine, et chaque démarche administrative se transforme en parcours du combattant. Comme ses voisins de palier, elle n’a jamais pu récupérer les affaires et les papiers laissés dans l’appartement, une partie de l’immeuble étant toujours sous scellés. « Nous avons formulé une demande auprès du juge d’instruction début décembre pour lever ces scellés et pour pouvoir accéder aux appartements. Pas de réponse… », précise Stéphane Peu, l’adjoint au maire.

Ce lundi après-midi, les « habitants du 48 », qui n’ont pas été conviés lors de l’hommage national aux victimes des attentats de novembre, se réuniront rue du Corbillon puis devant la sous-préfecture pour rappeler l’Etat à ses obligations.