INTERVIEW«Avec les Kouachi et Coulibaly, on est presque dans du Shakespeare»

Attentats à Paris: «Avec les Kouachi et Coulibaly, on est presque dans du Shakespeare»

INTERVIEWLe réalisateur Stéphane Bentura fait le portrait des auteurs des attentats de janvier ce lundi soir sur France 3...
Nicolas Beunaiche

Propos recueillis par Nicolas Beunaiche

«On ne naît pas terroriste, on le devient. » Partant de ce principe, le réalisateur Stéphane Bentura est allé sur les traces des frères Kouachi, Saïd et Chérif, et d’Amédy Coulibaly, devenus il y a un an les « visages de la terreur ». Il a rencontré certains de leurs proches, comme l’oncle des Kouachi, mais aussi des personnes qui les ont croisés au cours de leur vie et des témoins des attentats qui ont frappé la France en janvier 2015. Avant la diffusion de son documentaire sur France 3, ce lundi soir à 22h10, Stéphane Bentura explique à 20 Minutes sa démarche et ce qu’il retient de tous ces entretiens.

Pour ce documentaire, vous avez eu accès à des témoins qui n’avaient encore jamais parlé. Ont-ils accepté facilement de s’exprimer ?

Au contraire, ça a été très difficile. Les proches des Kouachi et de Coulibaly et même ceux qui les ont simplement croisés ressentent un mélange de honte et d’incompréhension, et certains d’entre eux ne veulent plus rien avoir à faire avec eux. Les sœurs d’Amédy Coulibaly n’ont pas voulu s’exprimer, par exemple.

A quelles questions vouliez-vous répondre avec ce documentaire ?

Je voulais comprendre la mécanique qui a poussé ces petits Français, dont les parents ont réussi leur intégration, à commettre des attentats sur le sol français. En retraçant leur parcours, j’ai essayé de réincarner ces événements et d’identifier des points de rupture dans l’histoire personnelle de ces trois hommes. C’est à ça que servent les images et les témoignages inédits auxquels j’ai eu accès ; les rushs du film de 2004 dans lequel Chérif Kouachi apparaît en rappeur et les mots de l'équipe de tournage permettent par exemple de donner une idée de son état d’esprit du moment. Six mois après, il était interpellé alors qu’il s’apprêtait à rejoindre l’Irak.



Quels sont les points communs qu’entretiennent les Kouachi et les Coulibaly ?

Ils viennent tous les trois d’un milieu très pauvre et l’école ne leur a jamais promis mieux qu’un BEP. Cela ne justifie pas ni n’explique totalement leur geste, mais ils étaient un terreau fertile pour un discours de victimisation. Le commun des mortels aurait transformé cette situation en créativité et en passions, eux ont versé dans la révolte et le morbide. Pour moi, il est évident que les frères Kouachi et Amédy Coulibaly se sont cherché une identité différente de celle que la société leur renvoyait. Ils étaient dans une quête, on est presque dans du Shakespeare. Ils se sont servis de leur sentiment d’injustice, d’humiliation pour se victimiser.

Et la religion dans tout ça ?

C’est la cause du moment, l’identité la plus facile à capter aujourd’hui. Quand on est personne, il est facile de céder aux sirènes de la rébellion du moment. Les Kouachi comme les Coulibaly se voyaient comme les défenseurs de la veuve et de l’orphelin.

Depuis janvier, de nouveaux attentats sont survenus. Le profil de la majorité des terroristes de novembre vous a-t-il surpris ?

Encore une fois, ceux qui ont commis ces attentats avaient des origines sociales modestes. Comme les Kouachi et les Coulibaly, ils ont tenté de vivre normalement dans la société européenne et étaient issus de familles pratiquant un islam modéré. Ce qui m’a marqué, surtout, c’est leur discours. On sait, d’après les témoignages de survivants du Bataclan, que ces terroristes ont fait la leçon à leurs otages avec un fourre-tout idéologique proche de celui des auteurs des attentats de janvier. A l’époque, à l’Hyper Cacher, Coulibaly avait évoqué pêle-mêle les femmes voilées, les enfants tués en Syrie et les Rohingas en Birmanie. C’est un point commun important de tous ces terroristes : ils cherchent en permanence à se justifier.