La DGSE déclassifie ses secrets sur la machine «Enigma»
ESPIONNAGE•Les services de renseignement français déclassifient des archives sur la Deuxième guerre mondiale, à propos de l'outil allemand de cryptage « Enigma »…Anne-Laëtitia Béraud
Fait rarissime à la DGSE : les services de renseignement français entrouvrent leurs archives sur l’un des épisodes les plus célèbres de la Deuxième guerre mondiale, à savoir la machine « Enigma ». Cette machine allemande de cryptage est au cœur du film « The Imitation Game », biopic sur le mathématicien britannique Alan Turing qui l’a « craqué ».
Lors d’une conférence exceptionnelle mercredi, la DGSE a annoncé avoir déclassifié et versé des documents au service historique de la Défense, qui seront bientôt accessibles. Couvrant la période 1932-1941, ceux-ci racontent les efforts français et la coopération avec les Polonais et les Anglais pour craquer les codes d’« Enigma ». « Le fond Bertrand [du nom du général français à la tête du service du chiffre] est assez mythique », précise la conservatrice générale du patrimoine de la DGSE. Il offre une histoire un peu différente de celle racontée par les Britanniques et évoquée dans le film sur Alan Turing.
Machine Enigma française reconstruite par le colonel Bertrand. - (c) DGSE
Comme le rappelle Nathalie*, une source allemande vend des informations aux Français en 1931. Pas très intéressés, ils les transmettent aux Polonais. « De 1931 à 1938, les Polonais ont véritablement mené la guerre contre l’Enigma grâce à leurs mathématiciens », explique-t-elle. Puis, à partir de 1938, les Anglais prennent la mesure du danger. Le colonel Bertrand devient alors leur interlocuteur privilégié et leur intermédiaire avec les Polonais.
>> A lire aussi : « Imitation Game » honore le génie de l’inventeur Alan Turing
« Sans les Polonais, on n’aurait pas su comment aborder la question du déchiffrement, qui était statistique. Quant aux Anglais, leur réponse est technique. Alan Turing a inventé des calculateurs surpuissants totalement novateurs», résume Nathalie. Ainsi, sans l’aide des Polonais via les Français, Alan Turing n’aurait donc pas craqué la fameuse machine « Enigma », qui compte plusieurs versions. « Cela n’enlève rien à l’ingéniosité d’Alan Turing », tient à préciser l’historien Olivier Forcade.
Plan de la machine Enigma reconstituée par le colonel Bertrand. - (c) DGSE
Quatre pièces de ce fond exceptionnel restent classifiées par les services français. « Ces documents sont de nature technique. Ils sont suffisamment allusifs ou représentatifs de la manière dont un cryptoanalyse pense, pour qu’il n’ait pas été jugé nécessaire de les ouvrir », élude la conservatrice générale. Quant aux secrets de la DSGSE, ils restent encore nombreux. Onze kilomètres linéaires d’archives papier et environ quinze millions de documents électroniques sommeillent dans les archives de ce service si particulier. Au minimum, il faut attendre cinquante ans pour qu’ils soient déclassifiés.
*Les agents de la DGSE s’expriment sous couvert d’anonymat.