Après les attentats, les Parisiens oscillent entre gueule de bois et fureur de vivre
REPORTAGE•«20 Minutes» s'est promené dans le quartier des Grands boulevards pour prendre le pouls des Parisiens...Céline Boff
Le silence. Ce lundi matin, il y a du monde dans la ligne 7 du métro, mais personne ne parle. Chacun s’observe, la mine sombre. Plusieurs voyageurs descendent à l’arrêt Chaussée d’Antin La Fayette pour rejoindre le quartier des Grands boulevards, le cœur battant du Paris qui travaille et qui consomme. A l’extérieur, les passants sont peu nombreux. La plupart sont des touristes déambulant, emplettes à la main, entre des policiers suréquipés.
Pas le droit de parler aux journalistes
« J’aimerais bien vous dire quelque chose, mais on nous a interdit de parler aux journalistes », explique une jeune serveuse du stand Alto Café, niché devant les Galeries Lafayette. Même son de cloche chez sa voisine, qui vend des sacs et des parapluies. En face, à l’entrée du grand magasin, les clients présentent mécaniquement leurs sacs aux vigiles. Ces derniers n’ont pas non plus le droit de parler aux médias. L’un d’entre eux nous lâche tout de même qu’il a « aussi peur que d’habitude ».
Plus loin, à l’emplacement Gucci, plusieurs vendeurs discutent. Il n’y a aucun client, « mais le lundi, c’est toujours calme », assure Jessica, 24 ans. Elle a surtout été frappée par le silence qui dominait, tôt ce matin, dans sa rame de RER. « D’habitude, tout le monde parle, se bouscule… Là, on s’observait tous, comme si nous attendions quelque chose. » Ses parents ne voulaient pas qu’elle vienne travailler. Elle n’en avait pas non plus envie. « Je regarde partout, je suis à l’affût », lâche-t-elle, visiblement anxieuse.
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« Je porte mon voile fièrement »
Un peu plus haut sur le boulevard Haussmann, dans le magasin H & M, nous croisons Afifa, jeune assistante juridique : « Je me demandais si mon voile allait susciter des réactions. Je n’ai jamais eu de problème depuis que je le porte et je n’en ai pas eu non plus aujourd’hui. Je sais qu’il y a beaucoup d’amalgames, beaucoup d’ignorance, mais moi, je n’ai rien fait. Et je veux continuer à vivre. Alors je porte mon voile fièrement. Parce que je suis musulmane et que ma religion n’a rien à voir avec ces malades. Dieu a rendu la vie humaine sacrée et il a dit que tuer une personne, c’est tuer toute l’humanité ».
Nolwenn, 36 ans, déambule elle aussi dans les rayons quasi-vides du H & M. « Je viens faire une course rapidement parce que je travaille juste à côté. Aujourd’hui, je me sens triste mais je ne sais pas si j’ai peur. Je regarde tout le monde mais en même temps, je me dis que n’importe qui peut être un terroriste. Il n’y a pas d’archétype… ». C’est également ce que notent Noémie et Sophie, toutes deux âgées de 37 ans, attablées chez Cojean, au sous-sol du Printemps. « C’est une guerre sans en être une, ce sont des ennemis sans visage et c’est ce qui est dur. J’avais la haine après Charlie, mais aujourd’hui, je me sens dépitée. Les événements de vendredi m’accompagnent sans cesse et je pense surtout à l’après, au prochain attentat », lâche Sophie.
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« L’ambiance n’était clairement pas au boulot »
Noémie approuve et ajoute : « Mettre des bougies à ses fenêtres et un drapeau sur Facebook, c’est bien mignon. Mais en réalité, nous subissons les choses, nous ne pouvons rien faire. Et c’est vraiment très frustrant. Avec Charlie, nous avons voulu croire qu’il s’agissait d’un mauvais coup, mais là, nous commençons à comprendre que cela va durer ». Et le travail ? « C’est difficile. Ce matin, dans notre cabinet d’avocats, personne n’arrivait à se concentrer. Chacun a raconté la manière dont il avait vécu les événements. Puis nous avons organisé notre minute de silence », explique Sophie.
Pour Charles, 26 ans, chef de projet, la reprise du travail a également été très difficile : « Je travaille chez Universal, trois salariés sont morts pendant les attentats. Quand je suis arrivé au boulot, leurs portraits étaient disposés dans l’entrée, il y avait des fleurs, des bougies, ça m’a pris aux tripes. On a essayé de se mettre au boulot, mais tout le monde était sur les réseaux sociaux et puis spontanément, tout le monde est allé au café d’en face, l’ambiance n’était clairement pas au boulot. Beaucoup de mes collègues qui viennent habituellement en transports ont pris leur voiture, ils étaient flippés. On a évidemment fait la minute de silence à midi, en présence de Pascal Nègre qui nous a dit un petit mot ».
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« Il me fallait un peu de poésie »
Dehors, Annie, 75 ans, sourit devant le ballet de marionnettes qui anime l’une des vitrines du Printemps. « Il me fallait un peu de poésie », explique-t-elle. Elle revient juste de l’église Saint-Ignace, dans le 6e arrondissement. « Les paroles du prêtre m’ont beaucoup aidée. Il nous a dit d’être attentifs à nos pensées et à nos paroles. Elles doivent être constructives. Ce que nous avons vécu est très grave, mais nous ne devons pas sombrer dans la critique, dans le négativisme ou dans la haine. Nous devons continuer à vivre, à créer des liens, mais je suis confiante quand j’observe les jeunes : ils veulent de la sincérité, de la vérité, de l’amour ».