Attentats à Paris: Des urgentistes «auront besoin d'un soutien psychologique»
INTERVIEW•François Lecomte, médecin de l'hôpital Cochin à Paris (14e), est au coeur du dispositif depuis les attaques de vendredi soir...Propos recueillis par Romain Scotto
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Concrètement, qu’est-ce qui a été mis en place quand les blessés sont arrivés ?
Notre hôpital n’est pas habitué à des patients lourdement touchés. Globalement les patients étaient en urgences relatives. Ces blessés sont atypiques pour nous. Dans un premier temps, on n’a pas compris ce qu’il se passait parce que les blessés qu’on avait étaient stables mais ils avaient des blessures par balles dans les fesses et dans les cuisses. On les a interrogés. Ils se faisaient tirer dessus par terre, protégés par d’autres personnes qui étaient sur eux. Il fallait les prendre en charge, les perfuser, les soulager, et organiser les prises en charge aux blocs opératoires disponibles. On en a rouvert d’autres bien entendu.
Combien de blessés avez-vous accueilli ?
Une quinzaine ou une vingtaine. Aucun n’est décédé car ils étaient plutôt stables. On était prêts avec des chirurgiens, des blocs opératoires, des anesthésistes. On a fait des bilans biologiques, scanners pour voir où étaient les balles. Ensuite les balles ont été extraites et les patients mis en réanimation, en chirurgie orthopédique ou en chirurgie viscérale en fonction de l’endroit où étaient les bales. Le patient le plus touché avait reçu deux balles et des éclats, et il avait visiblement perdu un proche. Là, ça complique les choses car on n’est pas habitués à ce qu’il y ait autant de gens qui arrivent et autant de morts à côté.
Au niveau du personnel, avez-vous reçu du renfort ?
Oui, le plan blanc permet de rappeler du monde, mais il faut faire attention à ne pas rappeler trop de monde. Si les choses durent pendant 2,3,4 jours, il faut pouvoir assurer la relève des équipes. Et puis, on a eu des choses extraordinaires : des retraités qui sont venus travailler, des internes, des étudiants hospitaliers.
Comment vous préparez-vous à ces situations de médecine de guerre ?
Le professeur Carli, qui nous forme en médecine de catastrophe, s’est inspiré de l’exemple des attentats de Madrid ou même des Israëliens. La dernière simulation faite par le SAMU était vendredi 13 au matin ! Nous étions aussi entraînés peu de temps auparavant car on avait eu une fausse alerte, sur une intoxication alimentaire dans un camp de Roms. On s’était mis en configuration plan blanc. On a des boxs qui se transforment, des cloisons, des brancards et médicaments supplémentaires. On a aussi des préparations pour les catastrophes traditionnelles (nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique).
Pouvez vous faire un bilan concernant votre organisation ?
Avez-vous senti le personnel médical chamboulé par un tel événement ?
On est habitués à des situations très difficiles, des annonces de mauvaises nouvelles, mais là il y avait une espèce d’angoisse, une épée de Damoclès, on ne savait pas si on allait avoir vingt, cinquante ou cent patients. Il y a eu des moments de solitude, l’impression de vivre un moment horrible. On a souffert, on en a discuté et on va encore en discuter, et on va se préparer car on pense qu’il y aura probablement autre chose. Peut-être qu’il y en aura parmi nous qui auront aussi besoin d’un soutien psychologique, mais ils peuvent compter sur nous pour les aider, les dépister, les orienter vers des services de médecine du travail avec des psychologues.