Harcèlement scolaire : « On protège mieux les adultes que les enfants »
INTERVIEW•Nora Fraisse, dont la fille victime de harcèlement à l’école s’est suicidée en 2013, estime que le plan gouvernemental « n’est pas suffisant »…Propos recueillis par Chloé Pilorget-Rezzouk
Elle a retrouvé un matin de février sa fille de 13 ans pendue avec son foulard. Au collège, Marion était victime de brimades depuis plusieurs mois. Depuis, cette maman lutte sans relâche pour sensibiliser au harcèlement à l’école et sur les réseaux sociaux, dont un élève sur dix serait victime en France. A l’occasion de la première journée nationale « Non au harcèlement », la fondatrice de l’association « Marion La main tendue » a répondu aux questions de 20 Minutes.
En début d’année, vous pointiez dans une tribune sur le Huffington Post, un « déni collectif » sur le harcèlement à l’école. Depuis, la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem a présenté un plan de lutte. Est-on enfin sorti du déni ?
C’est un bon début, mais ce n’est évidemment pas suffisant. Les pouvoirs publics ont enfin compris qu’il fallait prendre en charge ce phénomène qui ronge nos écoles, qu’il fallait que cela bouge. La société civile, les associations, les parents de victimes ont aidé à cette prise de conscience. Aujourd’hui, on a levé un tabou : on n’a plus peur de parler, ni les victimes, ni les parents. Mais le déni et l’omerta existent toujours : depuis deux ans et demi, nous n’avons jamais eu un signe des responsables du collège de Marion.
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Que pensez vous de la mise en place d’élèves ambassadeurs dans les établissements ?
C’est quelque chose qui fonctionne, mais il faut accompagner, former les enfants qui vont accepter pour qu’ils puissent accueillir la détresse de l’autre et ne soient pas désorientés. L’élève-ambassadeur n’est qu’un maillon de la chaîne. Et les adultes qui vont les encadrer, comme les professeurs, doivent être formés. Pour moi, il faudrait une bonne année de formation, avec des mises en situation, des psychologues. Mais il y a un manque cruel de moyens humains : de psychologues scolaires, d’infirmières, etc.
« Tous concernés, tous mobilisés, #NonauHarcèlement le 5 novembre partout en France pour dire Stop aux violences et cyberviolences scolaires — Nora Fraisse (@Marion13_4ever) 3 Novembre 2015 »
Et du numéro vert réduit à quatre chiffres, le 3020, plus facile à retenir ?
Je trouve cela très bien, mais l’amplitude horaire n’est pas assez large. Le numéro est ouvert de 9 à 18 heures, du lundi au vendredi, mais pas durant les week-ends ni les vacances scolaires. Or, pendant ces heures-là, les élèves sont en cours ! Cette initiative est bonne, mais elle ne vise pas les bonnes personnes - les victimes -, alors que c’est une aide qui leur est destinée.
Le clip de prévention coréalisé par Mélissa Theriau a été vertement critiqué par certains syndicats de l’Education nationale. Que pensez-vous de celui-ci ?
Je ne veux pas entrer dans la polémique. La prévention ne s’arrête pas autour d’un clip, d’autant qu’il ne cible que les 7-11 ans. Je comprends que ce clip ne plaise pas, mais c’est un outil qui permet d’ouvrir la discussion.
Campagne Non Au Harcèlement - Le harcèlement… par EducationFrance
Vous défendez notamment l’idée de chaque classe ait une salle de cours attitrée. Que cela changerait-il ?
Il se passe beaucoup de choses dans les couloirs, durant les interclasses : ça se bouscule, ça s’insulte… Une salle de classe attitrée éviterait cela : vous êtes là, vous ne bougez pas. Mais il faudrait que des salles d’écoute soient également mises en place. Car il est nécessaire de dissocier la vie scolaire des souffrances scolaires pour libérer la parole en toute sérénité.
Dans votre guide, Stop au harcèlement, vous parlez de « démoder le harcèlement ». Comment y parvenir ?
La prévention se fait sur le terrain : le relationnel entre les encadrants et les parents doit être développé, amélioré. Je pose aussi la question : « Quid des harceleurs ? » On parle beaucoup des victimes, mais on doit aussi s’adresser aux harceleurs. Des sanctions doivent être inscrites dans les règlements intérieurs, et prises. Sinon l’enfant se dira : « Il peut m’arriver n’importe quoi et personne ne changera rien. » Toute sa vie, la victime aura la sensation de ne pas avoir été entendue et ne pourra pas se reconstruire. J’ai l’impression que l’on protège mieux les adultes que les enfants.