Manifestation Air France: «Si on laisse des salariés se faire démolir pour une chemise arrachée, on est foutu»
REPORTAGE•Des salariés Air France, mais aussi des sympathisants du Parti de Gauche, du Nouveau Parti Anticapitaliste et des syndicats Lutte Ouvrière se sont rassemblés ce jeudi à Paris...Laure Cometti
«Tomber la chemise », la chanson de Zebda était la bande-son toute trouvée pour le rassemblement des salariés d’Air France venus protester à Paris ce jeudi contre les suppressions de postes annoncées par la direction et l’inculpation de six salariés après les violences du 5 octobre dernier. L’ambiance est calme et bon enfant, malgré les pétards et les dizaines de CRS qui bouclent la place Herriot et l’accès à l’Assemblée nationale adjacente.
Des salariés unis
Toutes les catégories professionnelles et les générations sont représentées, les uniformes bleu marine des personnels navigants et des pilotes côtoient les gilets jaune ou orange fluo des personnels du cargo et de la maintenance. Les métiers et les syndicats font front autour des slogans « On lâche rien » et « Juniac boucle-la ! » « C’est historique cette intersyndicale, en dix ans j’ai jamais vu ça », affirme James, qui se sent « déçu et trahi » par la direction.
Le PDG d’Air France-KLM Alexandre de Juniac et le gouvernement sont les deux principales cibles des manifestants. « Avant, la direction utilisait les divisions au sein du personnel, mais maintenant on est tous unis », affirme Sylvain, salarié dans la maintenance, « profondément déçu par le gouvernement » : « J’ai voté PS en 2012 mais c’était la dernière fois. »
Soutien aux salariés inculpés
« On est surtout venu soutenir nos collègues », expliquent Marie et Didier, personnels navigants, à propos des six salariés mis à pied. Une pétition circule pour réclamer l’abandon des poursuites judiciaires. Selon la CGT, elle a récolté 30.000 signatures à ce jour.
Sur scène, Xavier Mathieu, ancien délégué syndical de la CGT de Continental à Clairoix, appelle à la grève générale le 2 décembre, date du jugement des six salariés inculpés, des « héros à qui il faut dire merci ».
Manifestation de salariés Air France le 22 octobre 2015 à Paris. - Laure Cometti/20 Minutes
La direction et le gouvernement dans le viseur des manifestants
Pour les salariés, cet ultime plan de restructuration est la conséquence d’une mauvaise gestion de la direction. « Air France est une belle entreprise mais l’argent gagné n’est pas bien réinvesti », déplore une hôtesse de l’air. « La direction préfère réduire les coûts plutôt que conquérir de nouveaux marchés dans un secteur aérien en pleine croissance, dénonce Emmanuel Mistrali, pilote et porte-parole du SNPL. L’Etat devrait rétablir un contexte concurrentiel équitable pour toutes les compagnies ». Les charges et les taxes pesant sur Air France ne s’appliquent pas aux compagnies low-cost ni à celles du Golfe, tancent les syndicats.
Avec le vote du droit d’alerte, « on va démontrer que la stratégie de la direction nous mène droit dans le mur », affirme Medhi Kemoune, responsable de la CGT Air France. A quelques rues de là, dans le 16e arrondissement, la direction vient d’annoncer 1.000 suppressions de postes avec des départs volontaires.
Manifestation de salariés Air France le 22 octobre 2015 à Paris. - Laure Cometti/20 Minutes
La chemise déchirée
Des employés de la SNECMA (fournisseur de moteurs à Air France), de la Poste, et des étudiants sont aussi présents. Écœuré par la surmédiatisation de la chemise déchirée de Xavier Broseta le 5 octobre dernier, Renaud a décidé de participer car « le sujet dépasse Air France ». « Si on laisse six salariés se faire démolir pour avoir arraché une chemise, on est foutu », renchérit Erwann, militant CGT.
Manifestation de salariés Air France le 22 octobre 2015 à Paris. - Laure Cometti/20 Minutes
Plusieurs salariés arborent une chemise en lambeaux devenue l’emblème de leur indignation. « Il y a eu une surréaction, interpeller des salariés au petit matin comme s’ils étaient des criminels, terroristes… Personne n’a été lynché », proteste Emmanuel Mistrali. « Quitte à choisir entre une chemise arrachée et un salarié qui se pend, moi j’ai choisi », affirme Geoffrey, salarié à la logistique.
C’est le leitmotiv des responsables politiques de gauche qui se succèdent à la tribune. Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), Pierre Laurent (Parti communiste français), Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne), Eric Coquerel (Parti de Gauche)… Tous fustigent la réaction du gouvernement et sa « connivence avec le patronat ».
Manifestation de salariés Air France le 22 octobre 2015 à Paris. - Laure Cometti/20 Minutes
« La vraie violence, ce sont tous les emplois détruits, le chômage », affirme Clémentine Autain (Ensemble !) à 20 Minutes. « C’est bien, mais où étaient les politiques en 2011, au début du plan Transform ?On leur écrit depuis des années,là ils récupèrent le sujet avant les régionales », s’emporte Geoffrey, tandis que la place Herriot se vide peu à peu. Il est 16 heures, et la plupart des salariés commencent à regagner les bus pour retourner à Orly et Roissy.