Pourquoi la réforme de la carte scolaire est explosive
EDUCATION•Changer le système, c’est risquer de se mettre à dos une partie des parents - et de son électorat…
Delphine Bancaud
Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, le gouvernement répète que la lutte contre les inégalités scolaires est sa priorité. Mais force est de constater qu’il a tardé à s’emparer de la question de la carte scolaire. C’est désormais chose faite, comme le souligne Libération ce dimanche, qui confirme que Najat Vallaud-Belkacem annoncera début novembre une expérimentation sur le sujet concernant les collèges. Car c’est surtout à ce niveau que l’absence de mixité sociale est la plus criante dans certains établissements.
Il faut dire que le sujet est brûlant. Depuis des décennies, le débat court et aucune solution ne s’est avérée efficace pour améliorer la mixité sociale et scolaire des établissements. Ni le système de libre choix d’inscription des élèves dans les établissements, ni une carte scolaire rigide, ni un assouplissement des règles en vigueur n’ont été satisfaisants. Et les gouvernements successifs s’y sont cassé les dents.
Un dossier de fond qui demande du temps
Si le ministère de l’Education a tardé à s’attaquer à ce dossier, c’est sans doute parce qu’il était empêtré dans la réforme des rythmes scolaires, puis dans celle du collège. « Il ne pouvait pas risquer de se mettre à dos une partie des parents issus des milieux favorisés, qui préfèrent que leurs enfants restent entre eux », souligne Marie Duru-Bellat, sociologue de l’éducation*. Sans compter que le sujet est délicat politiquement et fait ressortir régulièrement des clivages entre la droite et la gauche. Nathalie Mons, présidente du Conseil national de l’évaluation du système scolaire, souligne aussi la complexité du dossier qui ne peut être résolu dans le court terme : « Il faut forcément passer par des expérimentations et tenter d’enrôler les parents pour qu’il y ait un consensus ».
Les stratégies multiples des parents
Actuellement, les élèves sont affectés dans les collèges selon leur secteur géographique. Et chaque collège est rattaché à un secteur. Or, selon Nathalie Mons, « la carte scolaire est mal faite car elle reproduit la ségrégation géographique ». Du coup, certaines familles, surtout en Ile-de-France, tentent de la contourner. « Les classes moyennes essaient de fuir le collège de secteur s’il est situé dans un quartier défavorisé pour inscrire leurs enfants dans un établissement plus prisé », observe Marie Duru-Bellat. Les stratégies utilisées pour obtenir une dérogation sont multiples : « L’enfant demande une option ou une langue rare, souhaite s’inscrire dans une section sportive, ou ses parents font valoir que son frère ou sa sœur sont dans cet établissement », poursuit Marie Duru-Bellat. Certains parents achètent même une chambre de bonne ou un studio dans un beau quartier pour que leur enfant y soit sectorisé. Au final, certains collèges se sont ghettoïsés « et les enseignants débutants qui y sont affectés essayent d’en partir rapidement », souligne la sociologue.
Pour contrer ce système, le ministère prévoit donc d’expérimenter dans plusieurs départements volontaires (soit une dizaine sur 101) un nouveau processus à la rentrée 2016. « Il s’agirait de définir des secteurs élargis, comprenant plusieurs collèges, afin d’y répartir ensuite les élèves en fonction de leurs origines sociales », explique à 20 minutes l’entourage de la ministre de l’Education. « C’est une solution de bon sens, qui va préparer l’opinion à l’idée qu’il faut revoir la carte scolaire. Mais l’on peut regretter que cette tentative de réforme soit tardive », estime Marie Duru-Bellat. Car l’évaluation de cette expérimentation ne pourra avoir lieu au mieux qu’au bout d’un an, ce qui nous pousse à 2017. Et l’on voit mal le gouvernement annoncer une réforme d’ampleur de la carte scolaire en fin de mandat.
*Marie Duru-Bellat est l’auteur avec François Dubet de Dix propositions pour changer l’école, paru aux éditions du Seuil, 10 euros.