Happy slapping: «Etre écartelé au sol, roué de coups et filmé, c’est une sorte de viol»
INTERVIEW•Dans «Mon fils victime de happy slapping», sorti en librairie, Angèle Martin raconte le traumatisme qu'a vécu son fils Romain...Propos recueillis par Delphine Bancaud
La vie de Romain et de sa famille bascule un jour de novembre. Le collégien est tabassé par une bande d’élèves qui filme la scène et publie la vidéo sur les réseaux sociaux. Dans Mon fils, victime de happy slapping*, qui vient de sortir en librairie, Angèle Martin, sa mère, raconte le traumatisme vécu par l'adolescent et la longue lutte pour qu’il soit reconnu comme victime.
>> A lire: Agression filmée : Cinq choses à savoir sur le « Happy slapping » contre les profs
Trois ans après, avez-vous compris pourquoi Romain a été victime de happy slapping ?
Non, c’est la faute à pas de chance. Une meute d’une quinzaine de gamins avait décidé de tabasser le premier venu et de filmer cet « exploit » et c’est sur Romain que c’est tombé. La vidéo a tourné sur les réseaux sociaux plus de trois semaines et a été regardée par au moins 200 personnes. Elle a été supprimée par ses auteurs quand ils ont compris qu’elle pouvait leur nuire.
Quel était le profil de ses agresseurs ?
L’agression n’a pas eu lieu dans une ZEP, mais dans un collège ordinaire sans histoires. Car le happy slapping peut frapper partout. Ces agresseurs étaient des enfants de bonne famille, dont les parents étaient sans doute trop absents.
Vous racontez les nuits blanches de Romain, son décrochage scolaire, sa tentative de suicide... Comment expliquer que cette agression ait généré de telles conséquences pour lui ?
La violence à l’école a toujours existé, mais le fait qu’elle soit transformée en jeu via le happy slapping la rend encore plus traumatisante. Etre écartelé au sol, roué de coups et que cela soit filmé, c’est une sorte de viol. Cela a été extrêmement humiliant pour Romain. Il a nié sa souffrance longtemps, car il avait honte. Tant qu’il n’a pas été reconnu comme victime, il s’est senti coupable. Il a résisté comme il a pu. Mais ses cauchemars l’ont rattrapé et il a développé un stress post-traumatique.
Pourquoi avez-vous décidé de porter plainte contre ses agresseurs ?
Jamais nous n’aurions dû saisir la justice, mais les représentants de l’Education nationale n’ont pas pris leurs responsabilités. Il ne fallait pas que cette affaire fasse de vague et que l’établissement soit mal noté à cause de cette agression. Lorsque nous avons compris que l’établissement n’allait rien faire pour Romain, nous avons décidé d’agir pour le protéger.
Votre démarche judiciaire a été très longue et n’a abouti qu’à un rappel à la loi pour trois élèves. Estimez-vous que ce type d’agressions est encore minimisé ?
Le fait que seulement trois enfants écopent d’un rappel à la loi, c’est frustrant car ces agresseurs étaient une quizaine. Mais je ne peux rien reprocher à la justice, qui a contribué à ce que Romain relève la tête. J’en veux davantage à la police qui n’a rien fait pour rechercher la vidéo sur le Web.
Vous comparez les réseaux sociaux à des toiles d’araignées, estimez-vous qu’ils sont insuffisamment contrôlés ?
Tout à fait. Sinon comment expliquer que cette vidéo d’happy slapping ait circulé plus de trois semaines ? Et lorsque j’ai essayé d’entrer en contact avec les responsables de ces réseaux sociaux, j’ai trouvé porte close.
Comment va Romain aujourd’hui ?
Il marche la tête haute et il a récupéré scolairement. Aujourd’hui, il vit avec son histoire, il avance avec. C’est un adolescent heureux qui vient de rentrer au lycée. Le fait que mon ouvrage sorte l’a aussi réconforté. Il a voulu que son histoire éclate au grand jour, car il espère qu’elle fera bouger les choses.
Qu'espérez-vous ?
Il faut que les établissements prennent en compte la parole des élèves lorsque ceux-ci sont victimes. Il faut aussi que le lien entre les familles et l’Education nationale soit rétabli afin d’abattre ce mur de silence lorsque ce type d’incidents arrive. Je conseille aussi aux parents de ne pas s’intéresser uniquement aux notes de leurs enfants, mais à leur bien-être à l’école. Car c’est plus important que tout.
* Mon fils, victime de happy slapping, par Angèle Martin, Editions Eyrolles, 15 €.