Salhi, Ghlam, El Khazzani: «Pieds nickelés» ou nouveaux visages du terrorisme djihadiste?
ANALYSE•Les spécialistes de l’islam radical s’interrogent sur les profils des derniers terroristes qui ont frappé la France…Vincent Vantighem (avec Bérénice Dubuc)
«C’est sûr que cela ne ressemble pas à l’attaque du 11 septembre… Mais c’est tout aussi effrayant. » Le sociologue Farhad Khosrokhavar résume en deux phrases l’interrogation qui étreint depuis vendredi les spécialistes de l’islam radical. Ayoub El Khazzani, l’auteur présumé de l’attaque du Thalys, fait-il partie des nouveaux visages du djihadisme capables de frapper la France?
Portrait : Que sait-on d’Ayoub El Khazzani ?
Paumé, SDF, « mourant de faim », selon son avocate, le Marocain de 25 ans ne présente pas vraiment le profil d’un jeune assez préparé et embrigadé pour aller planter un Boeing sur une tour américaine ou poser une bombe dans le métro de Londres. Mais, avec 270 cartouches de kalachnikov en bandoulière, il aurait pu commettre un vrai massacre dans le Thalys ralliant Paris depuis Amsterdam.
Ils ont tous les trois manqué leur objectif
Qualifiés de « pieds nickelés » par certains enquêteurs, Yassin Salhi, Sid Ahmed Ghlam et Ayoub El Khazzani présentent tous les trois la particularité d’avoir manqué leur objectif. Le premier n’est pas parvenu à faire exploser l’usine Air Liquide de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), le second s’est fait arrêter avant de pouvoir attaquer une église de Villejuif (Val-de-Marne) et le troisième a été maîtrisé par des voyageurs.
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C’est en partie pour cette raison qu’aucun n’a reçu l’adoubement de l’organisation de l'Etat islamique, peu enclin à revendiquer un acte manqué. D’ailleurs, les trois hommes nient toute intention terroriste. « Et pourtant, leurs liens avec l’Etat islamique ne font guère de doute », assure David Thomson, auteur du livre référence Les Français jihadistes*.
Isolés, exclus et facilement influençables
Depuis les attentats du 11 septembre, les services de renseignement du monde entier ont intensifié la lutte contre le terrorisme. « Monter un acte de cette envergure aujourd’hui sans se faire repérer serait quasiment impossible », note Farhad Khosrokhavar. D’où l’émergence de profils a priori isolés qui parviennent à passer sous les radars.
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« Si l’on compare par rapport aux années 1990, l’émergence de Daesh a permis de multiplier le nombre de djihadistes potentiels par 20. Au moins… » abonde David Thomson. « Ce sont des déçus qui ne sont pas parvenus à intégrer le groupe, tranche l’islamologue Mathieu Guidère. Selon moi, ce ne sont même pas des terroristes mais des criminels, des rigolos qui se cachent derrière les signes extérieurs du djihadisme. »
La doctrine simpliste de Daesh
Cela suffit au bonheur de l’organisation de l'Etat islamique. Le groupe terroriste a en effet compris qu’il disposait désormais d’agents dormants un peu partout faciles à manipuler. Martelée en septembre 2014 par son porte-parole sur Twitter, la doctrine est à ce propos aussi simple que simpliste : « Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen - en particulier les méchants et sales Français (…), alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle manière. (…) Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec votre voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le. »
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Plus qu’autour d'une structure véritablement établie comme pouvait l’être le Gang de Roubaix dans les années 1990, le djihadisme en France se concentre désormais autour de petits noyaux d’une, deux ou trois personnes. « Leur capacité de nuisance est, certes, plus limitée mais la fréquence de leurs actes risque de s’accélérer », poursuit Farhad Khosrokhavar. Sur les huit derniers mois, les terroristes ont frappé ou tenté de le faire à neuf reprises dans l’Hexagone.