VIDEO. Attentat en Isère: «L’hypothèse d’un fait divers camouflé en acte terroriste est plausible»
INTERVIEW•Alain Rodier, expert du terrorisme, analyse les zones d'ombres de ce qui pourrait n'être qu'une vengeance privée...Propos recueillis par Oihana Gabriel
D’abord décrit comme un terroriste djihadiste, Yassin Salhi, soupçonné d’avoir assassiné et décapité son patron avant de commettre un attentat vendredi, a affirmé en garde à vue ce lundi ne pas avoir agi au nom de la religion. Déséquilibré qui se vante d’agir au nom d’Allah ? Salafiste dangereux ? Pour y voir plus clair dans ce début d’enquête atypique, Alain Rodier, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement et auteur de Grand angle sur le terrorisme (éd. Uppr), analyse pour 20 Minutes le portrait du suspect.
Quel est profil de Yassin Salhi au vu des dernières informations ?
Il faut rester très prudent sur cet homme au profil atypique. C’est un individu âgé de 35 ans, donc plus âgé [que les précédents], marié, trois enfants, en CDI. Il était donc bien intégré à la société. Il n’a pas du tout le profil d’un Nemmouche ou des frères Kouachi. En même temps, il gravitait dans la mouvance salafiste. Mais beaucoup de Français ont des contacts avec cette mouvance radicale et tous ne passent pas à l’acte.
Il nie le caractère religieux de son acte. Est-ce que ça tient debout ?
Pour le moment, en fonction des informations que nous avons, l’hypothèse d’un fait divers camouflé en acte terroriste est plausible. Lui assure qu’il a voulu se rendre intéressant en maquillant l’assassinat en acte terroriste. Une hypothèse appuyée par le témoignage d’un employé qui a expliqué qu’une dispute avait opposé Yassin Salhi et son patron. Dans la méthodologie terroriste, on n’assassine pas ses proches ou ses connaissances, mais des inconnus. Cet homme ne portait qu’un couteau et une arme factice. S’il avait vraiment voulu faire un carnage, il aurait eu des armes de poing. Et toutes les actions de ce vendredi noir en Tunisie et au Koweit ont été revendiquées rapidement, parfois la revendication était préparée à l’avance. Là, il n’y a aucune communication de Daesh.
En même temps, il y a des signes de religiosité…
En effet, la mise en scène macabre avec les drapeaux rappelle les vidéos de Daesh. Mais attention, ces bannières-là ne sont pas celles estampillées Daesh, qui sont noires avec un rond représentant le sceau du prophète.
Que dire de ses rapports avec la Syrie ?
Il s’est visiblement rendu en Syrie, mais les témoignages de sa sœur et de son épouse laissent planer un doute sur les dates. Or, comme les enquêteurs n’ont pas retrouvé son passeport, ils ne peuvent vérifier les tampons. Mais il semble que ce séjour ait eu lieu avant le déclenchement de la guerre. Peut-être pour du tourisme ? Ou pour suivre des cours dans une école coranique ? Ce voyage en Syrie a été présenté comme la preuve que cet homme est un terroriste, je serai plus prudent. Par ailleurs, le selfie envoyé à un individu en Syrie pose question. Cet homme n’aurait pas un rôle opérationnel, mais logistique au sein de Daesh.
Attentat en Isère : Le destinataire du selfie macabre de Yassin Salhi était inconnu de la police
Pensez-vous que cet homme est un déséquilibré ?
Son professeur de free-fight le décrit comme un sportif qui présentait à 90 % une attitude douce et à 10 % il sortait de ses gonds. Cela pourrait se rapprocher de la description d’un bipolaire. On peut imaginer qu’il avait des tendances suicidaires. Mais on en saura plus lors du procès.
Si c’est le cas, doit-on craindre que d’autres personnes s’inspirent des vidéos de propagande de Daesh pour justifier leurs crimes ?
C’est possible. Il est possible que Daesh tente de récupérer le train en marche, ce qui s’est déjà produit. Dans ce cas, ils ne revendiqueraient pas l’acte, mais remercieraient le frère de cette action contre les infidèles. Ils ont lancé des appels au meurtre pour que des individus qui n’ont aucun contact avec eux passent à l’acte. Daesh pourrait influencer des esprits faibles sans ordonner des attentats.