Etats-Unis: Pourquoi, malgré la succession de drames, la législation sur les armes ne change pas
MONDE•En 2015, une fusillade dans une église de Charleston provoquait la colère d'Obama qui réclamait de légiférer sur les armes à feu. Deux ans plus tard, et au lendemain du carnage de Las Vegas, la même question se pose: pourquoi la législation ne change-t-elle pas?…Journaliste afp
Les appels à réformer la législation sur les armes à feu ont beau se multiplier après chaque fusillade meurtrière aux Etats-Unis, rien ne semble pouvoir l’ébranler. La tuerie de Charleston dans la nuit du 17 au 18 juin 2015, l’une des pires de l’histoire récente des Etats-Unis [neuf Afro-Américains ont été tué par un homme blanc dans une église], avait relancé le débat.
Le drame avait provoqué la colère du président Barack Obama, qui avait réclamé, une fois encore, de légiférer sur les armes. Deux ans plus tard, et au lendemain du carnage de Las Vegas, la même question se pose : pourquoi la législation ne change-t-elle pas ?
Un droit âprement défendu par le lobby des armes
Barack Obama avait régulièrement plaidé pour un contrôle renforcé sur la détention d’armes aux Etats-Unis. Cette prérogative est garantie par le Second amendement, qui octroie le droit constitutionnel aux Américains de « posséder et de porter des armes », et défendue âprement par le lobby des armes à feu, la National Rifle Association (NRA). Sous le président démocrate Bill Clinton, une loi avait permis de renforcer le contrôle des armes, mais elle avait expiré au bout de dix ans, faute d’avoir été renouvelée.
En décembre 2012, après que 20 enfants et six adultes eurent été tués par un tueur fou dans une école à Newton, Barack Obama, très ému, a tenté à son tour de présenter une réforme de la législation sur les armes à feu. Parmi les ambitieuses mesures qu’il promouvait, figurait la généralisation des contrôles d’identité et d’antécédents judiciaires et psychiatriques avant l’achat de toute arme. Ces contrôles ne sont aujourd’hui obligatoires que dans les magasins agréés, mais pas sur Internet ou dans les foires, sauf dans les Etats qui ont voté des lois plus restrictives que la loi fédérale. « Le taux de meurtres par arme à feu est dix fois ce qu’il est dans les autres pays développés. Il n’y a rien d’inévitable à cette situation », avait-il argué. En vain.
Echec politique cuisant
Il avait au total manqué cinq voix, sur 100, pour que le projet survive au Sénat, pourtant encore à majorité démocrate à l’époque. Les mesures avaient été bloquées après une campagne acharnée des lobbies pro-armes à feu et l’opposition de certains parlementaires démocrates venant d’Etats conservateurs. Une défaite politique cinglante pour Barack Obama, qui avait fustigé l’attitude d’une « minorité » de sénateurs et accusé le lobby des armes d’avoir « délibérément menti » pour faire échouer la réforme. « C’est un jour de honte pour Washington », avait lancé le président.
Deux ans plus tard, rien n’a changé. Les fusillades meurtrières éclatent régulièrement, suivies d’appels à modifier la législation, sans que cela ne porte à conséquence. Privé de majorité démocrate à la chambre des représentants et au Sénat, Barack Obama, en fin de mandat, prêche dans le désert. « Il peut dire ce qu’il veut, il n’a aucune chance de faire passer une loi », analyse Laurence Nardon, chercheuse à l’Ifri.
D’autant que la très puissante NRA, qui compte 4 millions d’adhérents dans le pays, reste incontournable. « Elle finance les campagnes électorales des Républicains, qui auraient du mal à se passer d’elle, explique Laurence Nardon. Elle possède aussi de nombreux relais dans les organes de presse conservateurs et auprès des autres donateurs républicains. Quant aux démocrates, ils n’ont pas les moyens de faire plier ses réseaux ».
Plus de 11.000 personnes tuées par armes à feu en 2013
Plus de 11.000 personnes ont été tuées dans le cadre des violences liées aux armes à feu aux Etats-Unis en 2013. Mais les mentalités évoluent peu à peu. Un ménage américain sur trois (32,4 %) possède une arme à feu, selon le Violence Policy Center (VPC), basé à Washington. C’est 40 % de moins qu’en 1977 (53,7 %).
Pour la première fois en décembre 2014, plus d’Américains (75 %) ont déclaré que le contrôle renforcé des acheteurs était plus important que de protéger le droit à la détention d’armes à feu (52 %), selon une étude du Pew Research Center. Reste à traduire cette évolution dans la législation. « L’accumulation de drames permettra peut-être de faire bouger les choses, avance la chercheuse. Mais pour l’instant, je ne vois rien ».