Menace terroriste: Pourquoi les policiers ne pourront pas «déjouer» tous les attentats
DECRYPTAGE•Il faudrait dix fois plus de policiers pour surveiller correctement la sphère djihadiste en France…William Molinié
L'essentiel
- Un attentat a été évité de peu dimanche dernier, ce qui relance le débat sur l'efficacité des services de renseignement.
- Même si la DGSI a été dotée de renforts, elle reste fragile, surtout en raison de l'étendue et du niveau de menace de la sphère djihadiste.
- Pour surveiller correctement l'ensemble des cibles dangereuses en France, il faudrait au moins 30.000 agents du renseignement, soit près de dix fois plus que les effectifs actuels de la DGSI.
Il y a quelques semaines, un ancien patron des services secrets confiait à 20 Minutes: «Les Français vont devoir s’habituer à vivre avec cette menace. De nouveaux attentats vont être commis sur notre sol». Sommes-nous prêts à l’entendre? L’attentat avorté dimanche dernier qui visait sans doute une église de Villejuif (Val-de-Marne) a relancé le débat du suivi des individus signalés par les services de renseignement.
Le suspect, Sid Ahmed Ghlam, faisait l’objet d’une fiche «S», pour «sûreté de l’Etat» et présentait donc une menace potentielle. A son retour de Turquie, au début de l’année, il avait été placé en garde à vue et entendu par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Mais aucun élément n’a permis d’ouvrir une enquête et de le placer en détention.
Les recrues pas formées
Le renseignement français a-t-il tenu compte des erreurs commises pendant les affaires Merah, Nemmouche, Coulibaly et Kouachi? Selon le Premier ministre Manuel Valls, les services ont déjoué cinq attentats ces derniers mois. La DGSI a procédé à 79 gardes à vue depuis le 1er janvier dernier, a dévoilé une source gouvernementale à 20 Minutes. Soit environ une toutes les trente heures. «Toutes les semaines, il y a des procédures ouvertes. Les services de renseignement sont mobilisés», assure-t-on à Beauvau.
Après les attaques terroristes à Paris de début janvier, les autorités ont décidé de muscler les effectifs du renseignement. «Beaucoup de candidats viennent des commissariats et ne connaissent pas forcément les procédures chez nous. Or, ils ne sont pas formés à nos méthodes», déplore un agent de la DGSI pour qui les effets de cet effort ne seront visibles que dans deux ans.
Il faudrait 30.000 policiers pour suivre les djihadistes
«On aura beau mettre plus de policiers, on ne pourra pas éviter de nouveaux attentats», poursuit notre source. La démonstration est simple. Il faut vingt agents pour surveiller 24h/24 et 7j/7 un suspect. Or, la sphère djihadiste, selon les sources policières, représente environ 3.000 personnes en France. Si tous les suspects n’ont pas vocation à être écoutés, au moins la moitié représente une réelle menace. Pour les suivre en permanence, il faudrait 30.000 policiers, soit un cinquième de la totalité des postes pourvus de la police nationale (142.456 au 31 décembre 2013). Aujourd’hui, moins de 4.000 d’entre eux sont attribués à la DGSI.
«On ne peut pas surveiller tout le monde, atteste formellement cet agent des renseignements. Nous avons cinq à six ans de retard.» La menace aujourd’hui est telle que la tentation de mesures radicales est facile. Comme fermer l’accès des relations téléphoniques et Internet depuis la France vers la Syrie ou l’Irak. Ce qui aurait pu empêcher les échanges entre Sid Ahmed Ghlam et son contact en Syrie qui lui aurait demandé de viser prioritairement des églises. Mais, «laisser ces communications ouvertes nous permet d’obtenir de nombreuses informations», assure ce policier spécialisé. Encore faut-il hiérarchiser et prioriser les bonnes informations.