DECRYPTAGEDjihad: Peut-on faire confiance aux ex-djihadistes repentis?

Djihad: Peut-on faire confiance aux ex-djihadistes repentis?

DECRYPTAGELe Sénat recommande de s’appuyer sur eux pour la contre-propagande, mais les autorités sont frileuses…
William Molinié

W.M.

L'essentiel

  • Les autorités doivent faire face au retour en nombre de Français d'Irak et de Syrie.
  • Une commission d'enquête du Sénat préconise d'utiliser leur parole pour organiser la contre-propagande.
  • Mais les autorités voient d'un mauvais œil cette proposition qui mènerait à faire confiance à un ancien djihadiste.

Un ex-djihadiste qui a fait œuvre de repentance peut-il être écouté? Les sénateurs de la commission d’enquête sur les filières djihadistes proposent, dans un rapport rendu public début avril, de «s’appuyer sur la parole d’anciens djihadistes ou extrémistes repentis» pour dissuader ceux qui sont sur le point de partir.

Cette recommandation repose sur des expériences anglo-saxonnes d’anciens extrémistes qui se sont rangés au côté des autorités pour participer à des programmes de désendoctrinement. Par exemple, la fondation Quilliam, un think tank qui réfléchit à des stratégies contre-terroristes, a été créée par Maajid Nawaz, lui-même radical repenti. En France, les autorités françaises sont frileuses et estiment que cet appui peut s’avérer dangereux s’il n’est pas maîtrisé. Explications.

1.432 personnes impliquées

Depuis quelques mois, la hausse du nombre de Français de retour dans l’Hexagone s’est accélérée. Avec «une vague plus importante en décembre dernier», indique à 20 Minutes une source au ministère de l’Intérieur. A titre d’exemple, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) suivait 1.050 personnes impliquées dans les filières irako-syriennes en novembre 2014, contre 1.432 au 9 mars dernier, soit 25% de plus en à peine cinq mois. Si la première vague de retours en 2013 était davantage motivée par les rivalités entre islamistes en Syrie, les raisons de ce deuxième épisode sont davantage floues.

Parmi les explications figure celle de l'opportunisme. «Certains ont pu sentir le vent tourner sur le terrain», souffle un observateur. Et anticiper la perte de villes comme Kobane ou Tikrit, reprises par la coalition. D'autres raisons s'avèrent plus futiles. Certains «ne réalisent pas la gravité de la situation» et rentrent d’Irak «comme s’ils revenaient d’une année Erasmus», quand d’autres «sont rattrapés par la solitude, le manque de leurs proches», énumérait il y a quelques jours David Thomson, journaliste spécialisé dans les mouvements djihadistes, au cours d’un débat sur la prévention de la radicalisation à l’ambassade du Canada à Paris.

Peu fiable

Les revenants ne sont pas forcément tous en rupture avec les idées de l’organisation de l’Etat islamique. D’où la difficulté pour les autorités de déceler le «vrai» du «faux» repenti. «Il faut faire attention à ce qu’on appelle un “repenti”. Tout dépend de leur situation sur le plan judiciaire», souligne-t-on dans l’entourage du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Arrêtés sur le territoire à leur retour de Syrie ou d’Irak, un grand nombre de Français disent avoir été en complet désaccord avec Daesh afin d’échapper à la justice. «C’est une stratégie de défense très répandue. Il faut rester très prudent», confirme une source proche des services secrets. D’autant que la plupart d’entre eux adoptent la taqîya, une stratégie de discrétion et de dissimulation que s’autorisent les islamistes radicaux.

En Allemagne, par exemple, la «repentance» est une circonstance atténuante et la peine prononcée en tient compte. Pierre N’Gahane, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance, se méfie de ce type de dispositions. «Les Anglais reviennent d’ailleurs sur leur politique de gestion des repentis, chez les Allemands, ça ne marche pas beaucoup. On n’y croit pas beaucoup, car la parole d’un “repenti” n’est pas fiable», précise-t-on dans son entourage. Pendant plusieurs années, Mourad Benchellali, un ancien détenu de Guantanamo, a été considéré comme un «paria». Il était notamment interdit pour lui de témoigner dans les écoles françaises, alors qu’il le faisait en Belgique et en Suisse, rappelle Rue89.