Bébés congelés: «En conservant le corps des nourrissons, les mères gardent un lien avec eux»
INTERVIEW•Marc Ferrero, psychologue clinicien, analyse les affaires d'infanticides après la découverte de cinq corps de bébés congelés en Gironde...Propos recueillis par Delphine Bancaud
Un fait divers macabre qui rappelle une fois encore l’affaire Courjault, dite des bébés congelés. Cinq corps de nouveau-nés ont été trouvés par les gendarmes, dans un congélateur situé dans une maison de Louchats (Gironde). Pour tenter de comprendre les mécanismes qui peuvent amener une mère a tuer son nourrisson, 20 minutes a interrogé Marc Ferrero, psychologue clinicien, spécialiste des maltraitances infligés aux enfants.
Pourquoi de nombreux cas d’infanticides de nourrissons sont-ils précédés par un déni de grossesse ?
Dans certains cas, la mère ne souhaite pas être enceinte et n’a pas donné de place dans son corps à son bébé, donc son ventre ne grossit pas et personne ne se rend compte de sa grossesse. Dans d’autres cas, des femmes ne se sentent bien qu’enceinte, mais ce sentiment de plénitude les quitte quand le bébé vient au monde. Dans tous les cas, la réalité de l’enfant devient insupportable pour elles, d’où leur volonté de le faire disparaître.
Comment expliquer que les pères ne se rendent pas compte de ces grossesses?
Certains ne se préoccupent pas du physique de leur femme ou du fait qu’elle ait ses règles ou pas. D’autres éprouvent une certaine répugnance à l’égard de l’intimité de leur femme et donc passent à côté des signaux qui auraient pu les alerter.
Existe-t-il des points communs entre les mères infanticides?
Oui, elles ont toutes un terrain psychologique fragile, mais appartiennent à tous les milieux sociaux. Il peut s’agir de jeunes femmes qui ont été maltraitées dans leur enfance, ou qui n’ont pas reçu un amour maternel suffisant. Outre ce déficit affectif, elles n’ont généralement personne à qui se confier.
Pourquoi certaines de ces femmes ont-elles commis plusieurs infanticides?
Généralement parce qu’elles ne prenaient aucun moyen de contraception. Par ailleurs, lorsqu’on commet un crime, mais qu’il n’est pas découvert, on a tendance à le reproduire. Le fait que l’entourage ne le sache pas et que la société ne le sanctionne pas donne un sentiment d’impunité.
Pourquoi y a-t-il eu plusieurs cas de ce type depuis l’affaire Courjault?
L’affaire Courjault a pu être un détonateur pour certaines personnalités fragiles. Même s’il faut rappeler que de tous temps, il y a eu des mères infanticides. La vraie nouveauté, c’est qu’elles ne se débarrassent pas des corps des nourrissons.
Comment expliquer qu’elles les congèlent?
Ces mères essayent ainsi de gérer une partie de leur culpabilité. Car en conservant les corps des bébés, elles gardent un lien avec eux et ont l’impression qu’elles ne les ont pas fait disparaître complètement. Quand elles approchent du congélateur, c’est comme si elles se rendaient sur la tombe de leurs enfants. Elles gardent aussi une trace de leur crime pour la justice, car inconsciemment elles pensent qu’elles doivent être punies pour ce qu’elles ont fait.
Comment expliquer que certaines d’elles soient de bonnes mères pour les autres enfants qu’elles ont?
Certains enfants ont la chance d’être investis par leur mère, d’autres pas. Car ils n’arrivent pas au bon moment ou parce que les mères imaginent que leur compagnon va refuser leur nouvelle grossesse. Il n’empêche qu’elles peuvent être en effet de bonnes mères pour les enfants qu’elles ont eues précédemment. C’est dire toute la complexité de ces femmes.