Comment Quentin de Sevran est devenu Ali dans les rangs de Daesh en Syrie
TÉMOIGNAGE•Les parents de Quentin, 22 ans, ont accepté de retracer l'itinéraire de leur fils, en Syrie depuis septembre...Vincent Vanthighem
[Edit. 03 Février 2017 : L'article ci-dessous a été publié le 15 mars 2015. A l'époque, les parents de Quentin ne souhaitaient dévoiler ni leur prénom ni celui de leur fils. Nous avions donc utilisé des prénoms d'emprunt dans une première version. Depuis, Quentin a trouvé la mort en Syrie. Sa mère, Véronique, publie, le 9 février 2017, un livre dans lequel elle ne prend plus de précautions quant à l'identité de son fils. Nous avons donc repris notre article de 2015 pour changer l'identité des protagonistes.]
Une pile de casquettes dernier cri. Un ballon de rugby. Une guitare dans un coin. Et quelques BD dans la bibliothèque. La chambre de Quentin ressemble à celle de n’importe quel jeune de 22 ans. A quelques détails près. Un calendrier du ramadan est punaisé sur son armoire. Et deux qamis traînent sur la rampe de l’escalier. «Ils portent encore son odeur», soupire sa maman, Véronique, en repliant ces vêtements traditionnellement portés par les musulmans.
C’est depuis cette chambre, sous les combles d’une petite maison ordinaire de Seine-Saint-Denis, que le jeune homme a préparé, l’été dernier, son voyage vers la Syrie. «On entend dire que les jeunes qui partent là-bas avaient tous des problèmes d’éducation, déplore Thierry, son père. Ce n’est pas le cas. Nous n’avons pas été de mauvais parents. Nous n’avons juste rien vu venir…»
«L’expérience» du ramadan
Pourtant, il y avait quelques signes annonciateurs. Depuis septembre, ce couple de quinquagénaires, commerciaux de profession, ne cesse de les ressasser. A commencer par ce beau jour de juillet 2012 où leur fils leur a annoncé qu’il allait faire le ramadan. «Il était très sportif et s’intéressait à la nutrition, raconte sa maman. Il voyait ça comme une expérience personnelle…»
Catholique non-pratiquant, Quentin vit alors avec ses parents dans une forme de syncrétisme religieux. Dans le salon familial, les livres du Dalaï-lama côtoient des essais sur le protestantisme ou les fondements de l’islam. «Il n’avait pas fait sa communion, raconte Véronique. Récemment, je me suis demandé si cela aurait changé quelque chose.»
Car Quentin ne s’arrête pas à «l’expérience» du ramadan. Au printemps 2013, il réunit ses parents pour leur annoncer sa conversion. «J’ai pleuré car j’avais peur de le perdre, poursuit Véronique. Mais il était super-heureux. Il avait Alizée*, sa petite copine. Et tout allait bien…» Du moins dans sa foi.
Ablutions, prières et la bise aux femmes
Perturbé par une «sale blessure», ce grand sportif galère à obtenir sa première année de licence en Sciences et techniques des activités physiques. Il abandonne les études, enchaîne les petits boulots et se recroqueville sur la religion. Ablutions et cinq prières rythment alors son quotidien. Le jeune homme mange halal et honnit l’alcool. «On était arrangeant, relate Thierry. Mais les rares fois où il y avait une bouteille sur la table, il préférait monter dans sa chambre.»
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Quentin décide aussi de ne plus faire la bise aux femmes. C’est ce signe-là qui conduit Véronique à prendre un rendez-vous à la Grande mosquée de Paris. «Votre fils est sur un fil», lui annonce alors le responsable religieux qu’elle rencontre. De retour chez elle, elle aborde le problème de front. «Non, répond le jeune homme. Je manque de courage pour me rendre en Syrie. Mais je trouve que ceux qui le font sont courageux…»
«Je n’allais pas l’attacher au radiateur»
Le virage s’opère au printemps 2014. Après s’être fait circoncire à l’âge de 21 ans, Quentin assure qu’il veut désormais apprendre l’arabe littéraire en Egypte pour se faire sa propre idée de ce qui est écrit dans le Coran. «Les radicaux leur enseignent l’art du camouflage et du mensonge alors que c’est interdit dans le Coran», analyse Thierry.
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De petits boulots en petits boulots, Quentin a atterri dans une compagnie de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). C’est ce qui lui sert d’alibi. En septembre, il explique qu’il doit partir pour Francfort (Allemagne) afin de se renseigner sur des berlines en vente. «Je me suis dit: "Il y a quelque chose qui cloche", poursuit Thierry. Mais qu’allais-je faire? Il a 22 ans. Je ne vais pas l’attacher au radiateur…»
+963, l’indicatif téléphonique de la Syrie
Quelques jours plus tard, le texto tant redouté tombe. «Je vous en avais parlé, précise le jeune homme. J’ai besoin de prendre l’air. Tout va bien. Ne vous inquiétez pas…» Thierry et Véronique tentent de se persuader que leur fils est en route pour l’Egypte mais le 6 octobre ils déposent plainte pour «disparition inquiétante».
Convocation, perquisition, la machine judiciaire se met en marche. Avant que les policiers ne se saisissent de l’ordinateur du jeune homme, ses parents ont le temps de le consulter. Ils retrouvent un billet d’avion pour la Turquie dans sa messagerie électronique.
Le 22 octobre, le téléphone de Thierry sonne. «J’ai manqué l’appel mais en regardant, j’ai vu tout de suite que l’appel venait d’un numéro en +963…» C’est l’indicatif de la Syrie. D’une voix chevrotante, le jeune homme explique qu’il est parti aider des gens. «Je ne peux pas vous dire où je suis mais ne vous inquiétez pas. Sachez que je vous aime. J’espère que vous comprendrez que c’est la vérité…»
De Quentin à Ali al-Melaki
Sans nouvelles de la police, Thierry et Véronique continuent de dialoguer avec leur fils environ une fois par mois. En novembre, c’est d’un cybercafé turc qu’il explique qu’il ne peut pas rentrer «au risque de finir ses jours en prison». Au passage, il leur raconte qu’il s’appelle désormais Ali al-Melaki.
Le soir de Noël, il craque et avoue pour la première fois qu’il se trouve à Raqqa, sous les bombardements. «Vous me manquez terriblement, confie-t-il. Je prie pour qu’Allah vous aide à supporter mon absence…»
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Véronique lui fait parvenir des photos de moments joyeux. Une fête d’anniversaire. Des vacances en famille. «Envoie-moi des photos du chat Grisou, lâche-t-il par texto entre deux versets du Coran.» Car Quentin est en Syrie pour «diffuser la bonne parole».
Assise sur le lit de son fils, Véronique garde pourtant l’espoir. «Sans ça, je sombre, lâche-t-elle. Sa chambre l’attend. Même si je sais bien que s’il rentre, il ne dormira sans doute pas ici mais en prison…»
*Les prénoms ont été changés