Polémique sur «Toute la vie» des Enfoirés : «Cette guerre des générations n'existe pas»
INTERVIEW•Serge Guerin, spécialiste des questions liées au vieillissement de la société, revient sur la polémique provoquée par la nouvelle chanson des «Restos du Cœur»…Propos recueillis par Claire Planchard
«Hymne anti-jeunes» chanté par des «vieux cons» «réacs»? Ou un «message positif d'espoir pour la jeunesse» «mal compris» comme se défendent les «Restos du cœur»? Depuis sa mise en ligne mardi, le clip de «Toute la vie» la nouvelle chanson des Enfoirés signée Jean-Jacques Goldman, suscite de vives réactions. Une polémique qui, au-delà du «buzz» médiatique, traduit un profond décalage entre le discours de l’association caritative et la réalité sociale de notre pays, selon le sociologue Serge Guérin, professeur à la PSB Paris School of Business, spécialiste des questions liées au vieillissement de la société, et auteur de Silver Génération – 10 idées reçues à combattre à propos des seniors (Michalon, mars 2015).
Retrouvez le clip intégral en cliquant ici.
Pourquoi une telle polémique sur un sujet aussi trivial ?
Il est vrai qu’après avoir vécu des choses aussi graves que les attentats et assassinats du début janvier c’est un peu surprenant de voir les réseaux sociaux partir en vrille de cette manière. Mais au-delà de l’effet médiatique, cette polémique témoigne de l’importance des «Restos du Cœur», qui est une marque connue par 90% de la population et un symbole de notre société précarisée. Face à un Etat qui se retire, l’association créée par Coluche incarne quelque chose d’hyperpositif : une société civile qui produit de la solidarité de proximité, des bénévoles - des jeunes mais en majorité des retraités - qui s’investissent de manière concrète et précise, par exemple en se rendant plusieurs soirs par semaine dans les restos du cœur pour aider les plus démunis.
Et cette chanson ne reflète pas du tout ça ?
Les gens ont peut-être du mal avec le second degré mais on ne peut pas nier la puissance des images du clip et des innombrables poncifs de la chanson: on voit d’un côté des gens «arrivés» et très connus -dans une société où la notoriété est la valeur suprême - d’âges et de talents vocaux très divers, faire la leçon d’en haut à une masse informe et anonyme de jeunes … Il n’y a pas une «jeunesse» mais des jeunes. Et tous ne sont pas frappés par le chômage de masse, le sida ou des addictions! Ni fatalistes ou passifs. Tout comme il n’existe pas «les seniors», mais diverses manières de vivre l’allongement de sa vie! Il faut rappeler que la question des inégalités n’est pas une histoire de génération: il y a des retraités riches et d’autres dans la misère. La majorité des «vieux riches» étaient déjà des «jeunes riches»! La principale erreur de cette chanson c’est de mettre précisément de côté la réalité sociologique des disparités de conditions sociales et des chances inégales de se sortir de la précarité. Si la réaction est si forte c’est que le texte nie que parmi «les jeunes» il y a certes une partie qui joue les victimes, mais aussi toute une série de gens qui se mobilisent, s’investissent dans le tissu associatif, dans la création d’entreprises, dans le soutien scolaire...
Ces vives réactions confirment-elles en revanche la fracture qui se creuse entre les générations?
Non, ce discours traditionnel sur la «guerre des générations» est un discours qui est porté par des gens très bien intégrés qui parlent au nom de «leur génération» mais cette guerre intergénérationnelle en réalité n’existe pas. Il y a bien plus de coups de main et de réciprocité aujourd’hui entre les générations qu’hier. Et on n’a jamais eu autant besoin d’échanges intergénérationnels, de solidarité de proximité…