RELIGIONActes antisémites, actes antimusulmans: Que traduisent les chiffres?

Actes antisémites, actes antimusulmans: Que traduisent les chiffres?

RELIGIONDepuis début 2015, 147 actes antimusulmans ont été recensés contre 133 en 2014. Les actes antisémites, eux, ont doublé l’an dernier…
Nolwenn Leboyer

Nolwenn Leboyer

Mardi soir, l’Observatoire national contre l’islamophobie a annoncé que le début de l’année avait été marqué par 147 actes antimusulmans, soit plus que sur toute l’année 2014 qui en a compté 133. De son côté, le Crif a fait état d’une forte hausse des actes antisémites sur l’année 2014. 20 Minutes se penche sur ces chiffres. Comment sont-ils comptabilisés? Que traduisent-ils sur les phénomènes d’antisémitisme et d’islamophobie?

Racisme, antisémitisme ou islamophobie: qui publie les rapports?

Chaque année, l’Observatoire national contre l’islamophobie, créé en juin 2011 et affilié au Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), publie un rapport sur les actes «antimusulmans». De son côté, le Conseil représentatif des institutions juives (Crif), s’appuyant sur les travaux du Service de Protection de la Communauté Juive (SPCJ), édite également un document annuel. Le SPCJ a été créé en 1980, au lendemain des attentats de la rue Copernic, qui avait fait quatre morts. Enfin, la Commission nationale consultative sur les droits de l’homme (CNCDH) diffuse aussi un document sur le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’islamophobie en France. Le prochain devrait être publié le 21 mars, Journée mondiale pour l'élimination de la discrimnation raciale.

Comment les chiffres sont-ils recueillis?

Chaque organisme travaille en collaboration avec le ministère de l’Intérieur. Ce dernier explique, dans le rapport de la CNCDH, sa méthode de recueil de données. «Le ministère a mis en place un système de recensement national des actes et menaces à caractère raciste. Celui-ci s’opère à travers un travail d’enregistrement des faits portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie.» Le rapport précise que les mains courantes et les constatations de terrain sont également prises en compte avec les plaintes. «A la fin de chaque trimestre, nous comparons nos données et celles du Ministère», confirme à 20 Minutes, Abdallah Zekri, président de l’Observatoire national contre l’islamophobie. Dans ses rapports, le SPCJ, qui refuse de communiquer dans les médias, détaille une méthodologie identique: «Le recensement comptabilise les actes antisémites ayant fait l’objet d’une plainte auprès des services de police.»

Quelle réalité derrière ces données?

Les chiffres transmis par le ministère font état des actes à caractère antisémite ou islamophobe, à travers les actions (attentats, incendies…) et les menaces (propos, gestes…) qui ont donné lieu à une plainte. En 2013, 226 actes antimusulmans ont été comptabilisés contre 133 en 2014… et déjà 147 depuis début 2015. En parallèle, on dénombre 423 actes antisémites en 2013, un chiffre «en diminution de 31% par rapport à 2012». Concernant 2014, le rapport du SPCJ fait état d’une forte hausse, avec 851 actes recensés.

Pour l’Observatoire national contre l’islamophobie et le SPCJ, ces données reflètent des «tendances» mais ne rendent pas compte d’une partie de la réalité, dont les actes de discrimination, quasiment impossibles à quantifier. Un constat confirmé par Nonna Mayer, politologue et directrice de recherche au CNRS: «Ces chiffres laissent échapper une large partie de la réalité. Les victimes ne vont pas nécessairement à la police, la police n’encourage pas toujours à porter plainte et les faits ne sont même pas systématiquement enregistrés sur la main courante.»

Concernant le profil des auteurs de ces actes, les récents propos de Roger Cukierman, président du Crif, ont lancé lundi une vaste polémique. Or, rien dans les données transmises par le ministère de l’Intérieur ne permet d’établir des profils d’auteurs. «En France, rien n’est enregistré sur le profil des auteurs. Il est donc impossible de tenir des discours dénonçant tel ou tel membre d’une communauté comme auteur d’un acte», précise le sociologue de la délinquance Laurent Mucchielli. Nonna Mayer confirme: «D’une part les auteurs de ces actes, dans la majorité des cas, ne sont pas retrouvés. Et quand on les retrouve, éventuellement qu’on les juge, il n’est pas question de mentionner l’origine ou la religion.»

Comment interpréter ces statistiques?

Les fluctuations des chiffres sont souvent indexées sur l’actualité internationale. «La logique des comportements et leur temporalité diffèrent de celle des opinions. Les passages à l’acte suivent l’actualité avec des événements déclencheurs, souvent à forte charge émotionnelle. On note une hausse spectaculaire des actes et des menaces antisémites à partir du déclenchement de la Seconde Intifada en Israël. Les actes antimusulmans ont été aussi plus nombreux dans le mois qui a suivi les attentats des 7 et 9 janvier», détaille la politologue. Une analyse partagée par Abdallah Zekri qui rappelle que les comportements de cyber-haine sont aussi une composante des phénomènes antisémites et antimusulmans.