Personnes âgées : «La canicule n’a pas servi de leçon»
INTERVIEW•Philippe Pitaud, directeur de l’Institut de Gérontologie sociale, déplore la baisse des crédits pour aider les personnes âgées…Propos recueillis par Faustine Vincent
A l’occasion de la sortie du documentaire «La Vie des gens», qui suit le travail une infirmière libérale auprès des personnes âgées, 20 Minutes a interrogé Philippe Pitaud, à la tête de l’Institut de Gérontologie Sociale à Marseille et directeur de l’ouvrage collectif Solitude et isolement des personnes âgées (Ed. Erès). Il se dit «en colère» face à la diminution des crédits alloués à la prise en charge des plus âgés.
La canicule de 2003 a provoqué une prise de conscience sur le sort peu enviable réservé aux personnes âgées en France. Comment s’occupe-t-on d’eux en 2015?
La canicule a effectivement servi d’électrochoc et posé la question de la prise en charge collective des personnes âgées, par les gens eux-mêmes et par la société. Mais aujourd’hui, l’attention a tendance à se relâcher. La canicule n’a pas servi de leçon. La preuve, ces dernières semaines, ce sont les personnes âgées qui ont été particulièrement touchées par l'épidémie de grippe et qui se sont retrouvées hospitalisées. Il aurait fallu déclencher le plan ORSAN deux ou trois semaines plus tôt. Je suis de plus en plus en colère.
Pourquoi?
Parce que j’ai l’impression qu’on fait du surplace, et que les crédits diminuent alors que les besoins augmentent. Notre Institut [de Gérontologie Sociale], qui a 34 ans d’existence, vient de perdre 15.000 euros de crédits. Or cet argent devait servir pour des gens qui sont seuls et en difficulté!
Comment rompre la solitude et l’isolement dont souffrent les personnes âgées?
La solitude n’est pas seulement le fait d’être isolé, c’est surtout le sentiment de ne compter pour personne. En 2000, on a créé un service d’écoute, Allô Service Personnes Âgées (04 91 53 27 55), une première en France. Il fonctionne avec des bénévoles. Ils appellent les personnes âgées régulièrement, notamment au moment des fêtes, où la solitude est plus forte. Mais il n’y a jamais eu de crédit spécifique pour ce type d’action depuis 2003. Le problème, en France, vient de la séparation entre la Santé et le Social.
En 2040, on devrait compter entre 1,7 et 2,2 millions de personnes âgées dépendantes, selon le ministère de la Santé, soit une augmentation de 47% à 89%. Les politiques publiques sont-elles adaptées?
On est à un tournant. Il va y avoir de plus en plus de personnes âgées dépendantes, or leur situation ne s’est pas améliorée. Depuis des années, les politiques se repassent le projet de loi sur la dépendance comme une patate chaude. Les mesures – ou plutôt l’absence de mesures – ont affaibli les aidants à domicile, qui se retrouvent en difficulté. On estime que 5% à 6% des gens dépendants sont en institution, toutes institutions confondues. Les autres sont chez eux, dont 20% ont des services de soutien à domicile.
On râle beaucoup, mais comparé à d’autres pays du monde, le système français n’est tout de même pas mauvais. A l’avenir, il faudra malgré tout faire attention au vertige de la privatisation des soins, car certains pourront se les payer, et d’autres non.
Vous avez vu le documentaire «La Vie des gens», d’Olivier Ducray. Qu’en avez-vous pensé?
C’est un beau film, qui dit du bien des gens qui s’occupent des personnes âgées - un travail à la fois très difficile et très gratifiant, parce qu’on aide des gens en souffrance. Mais ça ne changera pas la réalité. On ne facilite pas la vie à ceux qui sont engagés. Dans le documentaire, l’infirmière donne beaucoup d’elle-même. Heureusement il y aura toujours des jeunes qui veulent faire ce métier, mais je trouve qu’il y en a un peu moins qu’avant. C’est une question de société plus globale.