SOCIETEDerrière le procès du Carlton, le tabou de la sodomie perdure

Derrière le procès du Carlton, le tabou de la sodomie perdure

SOCIETELa pratique ne semble pas encore acceptée…
Audrey Chauvet

Audrey Chauvet

Dans un procès où les détails sordides ont été légion, de nombreuses périphrases ont été utilisées pour décrire une pratique sexuelle censée être acceptée. Au deuxième jour de l’audition de Dominique Strauss-Kahn au procès du Carlton, son avocate lâche finalement le mot «sodomie». Deux jours pour appeler un «chat» un «chat». Les médias eux-mêmes osaient à peine l'employer dans leurs récits du procès, alors qu'ils étaient nombreux à étaler fouets et menottes ce même 11 février pour la sortie du très sulfureux 50 nuances de Grey au cinéma. Les tabous en matière de sexualité ne sont peut-être pas où l'on croit.

Sale, humiliante, douloureuse…

«Jusqu’à récemment, la sodomie a été réprouvée et punie par la loi, explique Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po et auteur d’un Dictionnaire des sexualités (éd. Robert Laffont). Elle était aussi condamnée par l’Eglise catholique car elle détournait de la procréation».

Encore passible de peines de prison, voire de la peine de mort dans certains pays, la sodomie «serait un signe d’homosexualité refoulée chez l’homme hétérosexuel, elle serait sacrifice d’amour chez la femme», explique Coralie Trinh Thi dans son ouvrage Osez la sodomie (éd. La Musardine). Victime «d’un nombre incroyable de mythes mensongers et de contre-vérités absurdes», la sodomie «serait une perversion, elle serait sale, humiliante, douloureuse…», poursuit l’auteure, qui s’attache ensuite à démonter ces préjugés.



«"Enculé" reste une des insultes les plus courantes»

«Il y a encore une symbolique de la soumission dans la sodomie», renchérit Janine Mossuz-Lavau. Une distinction se fait ainsi entre les homosexuels actifs, qui pénètrent, et les passifs, qui se font sodomiser. Le jugement de valeur implicite de ces qualificatifs se retrouve décuplé en langage ordurier: «"Enculé" reste une des insultes les plus courantes et les plus offensantes… même chez les sodomites convaincus!», note Coralie Trinh Thi. Pour Janine Mossuz-Lavau, il faut aussi revenir à des considérations pour le moins triviales: «C’est associé, disons-le en termes directs et simplets, au caca».

Et, s’il fallait encore aggraver le cas de la sodomie, «ça peut être une pratique dangereuse et douloureuse si elle est mal pratiquée», ajoute la chercheuse. Les magazines féminins se sont ainsi emparés du sujet sous l’angle de la «sécurité»: Femme actuelle conseille pour une «Première sodomie: en douceur et sans douleur», tandis que Cosmopolitan s’interroge «La sodomie est-elle une position comme une autre?».

«Comportements sexuels dévoyés»

Parfois pratiquée par des jeunes filles qui souhaitent conserver leur virginité jusqu’au mariage ou comme moyen de contraception, la sodomie reste tabou alors que 51% des hommes et 38% des femmes en France déclaraient l’avoir déjà pratiquée dans un sondage Ifop réalisé en mai 2014 pour Marianne. La parole semble libérée. Les pratiques, moins. «Quand on fait l’amour la première fois, on va raconter à ses copines comment ça s’est passé. Mais jamais aucune copine n’est venue me dire "Ca y est, je me suis fait sodomisée"», témoigne une jeune femme au micro d’Arte Radio. «Si on te voyait partir avec un client qui pratiquait la sodomie, on te jugeait comme une fille qui se fait sodomiser. Ensuite, il fallait supporter les moqueries des autres filles, être vue comme une salope», raconte une ex-prostituée dans le livre de Coralie Trinh Thi.

«Je ne suis pas renvoyé pour "comportements sexuels dévoyés"», s’est énervé DSK au deuxième jour de son audition. Jugeant sa sexualité «plus rude par rapport à la moyenne des hommes», l’ancien patron du FMI devrait bien s’en tirer. «J'ai été troublé par les révélations récurrentes des pratiques sexuelles de Dominique Strauss-Kahn. C'est le seul prévenu pour lequel on ait poussé autant dans le détail», s’est étonné ce mardi le procureur de la république de Lille, qui a requis la relaxe pure et simple pour DSK. Si le droit ne le condamne pas pour proxénétisme ou viol, la morale, elle, condamne encore la sodomie à un statut de pratique dégradante.