Prise d’otages à l’Hyper Cacher: «Quand j’ai retrouvé ma classe de 6e, certains pleuraient»
REPORTAGE•Le collège Hector Berlioz, à Vincennes, est situé près du supermarché où a eu lieu la prise d’otages...Faustine Vincent
Installé dans un coin à l’entrée du bâtiment, un tableau blanc barré d’inscriptions et de dessins en hommage aux victimes de l’attentat de Charlie Hebdo s’est transformé en autel de fortune. Des élèves du collège Hector Berlioz, à Vincennes, y ont déposé des bouquets de fleurs et des stylos. Une écriture soignée revendique: «Aujourd’hui, nous sommes tous Charlie». Déjà traumatisés par l’attaque du 7 janvier au journal satirique, les élèves ont enduré, deux jours après, la prise d’otage à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à 700 mètres de là.
Confinés pendant l’attaque
Ils sont restés confinés pendant des heures par mesure de sécurité. «Un de mes élèves m’a dit que le cousin de sa mère était dans la chambre froide, raconte Florian Drenne, professeur d’histoire-géo et d’éducation civique dans le collège. Pendant l’assaut, les élèves qui avaient encore cours ont entendu les coups de feu. Le lundi, quand j’ai retrouvé ma classe de 6e, certains pleuraient. J’ai dit que c’était normal de pleurer et d’avoir peur, mais qu’il ne fallait pas céder à la terreur».
Ici, personne n’a troublé la minute de silence. Personne n’a évoqué de complot non plus. «Mes élèves ne se reconnaissent pas dans ceux qui contestent la version des faits. Les attaques les ont beaucoup touchés», explique Florian Drenne.
Alors, les jours suivants, il s’est efforcé de répondre à leurs questions en adaptant ses cours. Il a fait coller dans les cahiers des photocopies d’articles de presse jeunesse qui décryptaient les faits de manière pédagogique. «L’angoisse était si forte que coller ces articles permettait de concrétiser tout cela et d’avoir une prise sur les événements. C’est là, devant soi, on peut en parler».
La naturalisation de Lassana Bathily étudiée en cours
Ce jeudi après-midi, trois semaines après les attentats, Florian Drenne utilise de nouveau l’actualité afin de nourrir son cours d’éducation civique et répondre aux interrogations des élèves, en 3e. Pour aborder la question de la République et la citoyenneté, il prend le cas de Lassana Bathily, le «héros» de l’Hyper Cacher fraîchement naturalisé.
Face à lui, la classe est attentive. Les supports choisis défilent: un extrait du Petit Journal, un reportage de BFM TV, un article du Monde. «Quelle valeur républicaine son histoire incarne-t-elle?». «La fraternité», répond un élève. «Oui, parce qu’il a considéré les autres otages comme ses frères». Les questions s’enchaînent: «Quelle est la nature du document? Quels symboles républicains apparaissent? Pourquoi dans certains journaux, la religion de Lassana Bathily a-t-elle été indiquée?» Les mains se lèvent. Les réponses sont presque toujours justes. Florian Drenne dit avoir «conscience qu’ici c’est un peu particulier: c’est plutôt aisé et il y a une grande ouverture d’esprit. Mais il y a quand même beaucoup d'établissements où ça s'est bien passé après les attaques».
L’heure d’éducation civique est terminée. «J’aime bien parce que le prof fait le lien entre les cours et l’actu, ça permet une application dans la vie de tous les jours», dit Milena, 14 ans. Après le choc des attaques, sa copine Juliette explique que «les profs ont pris le temps de bien tout [leur] expliquer». Alors aujourd’hui, «on en parle encore, mais ça va».
Les élèves sortent et défilent en masse devant les affiches «Vigipirate Alerte Attentat» placardées sur les murs, rappelant les restrictions encore en vigueur sur «la circulation des élèves». C’est l’heure de la récréation.