VOUS TÉMOIGNEZ«Française musulmane, je suis écoeurée»

«Française musulmane, j'ai l'impression de devoir être plus souriante depuis une semaine, je suis écœurée»

VOUS TÉMOIGNEZFatia*, Maeva et Karim subissent tous les trois l'islamophobie grimpante de cette dernière semaine...
Christine Laemmel

Christine Laemmel

La première s'appelle Maeva. «Bienvenue» en tahitien. «Bercée par Brassens, une peau à la Blanche Neige» et un passé savoyard. La seconde s'appelle Fatia*. Elle est née au Maroc. Toutes les deux sont Françaises. Toutes les deux ressentent un profond malaise depuis le mercredi 7 janvier. Qu'on ne s'y trompe pas, c'est la première qui est musulmane. Voilée, convertie, comme son mari. «Pour la première fois de ma vie, je me sens comme une citoyenne illégitime, nous dit-elle. Pourtant, à moins que la musulmanie soit un pays, je ne vois pas quel pays devrait être ma place.»

«Comme si on attendait que je condamne publiquement les attentats»

En cause, les regards, appuyés, qu'elle sent se poser sur son voile, même dans les allées d'un supermarché. «En allant faire mes courses vendredi soir, j'ai vu tous les yeux se braquer sur moi, parfois avec insistance, d'autres avec plus de discrétion. Il n'y avait pas d'inquiétude dans leur regard, on aurait dit de la colère. J'ai aussi senti comme une forme de peur dans le regard fixe d'un enfant. Il a suffi d'un sourire pour le déstabiliser.» Laissant à Maeva «l'impression de devoir être un peu plus gentille ou un peu plus souriante» en ce moment, pour rassurer ou carrément se justifier. «Comme si on attendait que je condamne publiquement les attentats, ce sentiment m'a écœurée.» Pourtant Maeva ne le cache pas, elle s'est «sentie blessée» en 2011, par les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo. «Dire "c'est dur d'être aimé par des cons" signifie que les musulmans sont des cons», interprète-t-elle. Maeva a le sentiment d'une islamophobie tolérée. Dans une société où Philippe Tesson associe à l'antenne d'Europe 1, musulmans et «merde», sans être inquiété et où son voisin lui dit à peine «bonjour».

«J'ai l'impression que tout le monde me regarde»

En plus des cheveux couverts, les badauds se méfieraient aussi des «têtes brunes», comme celle de Fatia, née au Maroc. «J'ai l'impression que tout le monde me regarde», confie cette Française arrivée sur le territoire en 2000. Ironie du sort, Fatia n'est pas musulmane et ne l'a «jamais été», précise-t-elle. Elle est même mariée à un chrétien avec qui elle a eu trois enfants. «Mercredi dernier, ils étaient choqués comme tous les enfants de France, se souvient-elle. Ils m'ont demandée pourquoi les musulmans tuaient des gens alors qu'on n’a même pas le droit de faire de mal aux animaux.» Fatia, habitée par la peur de sortir pendant plusieurs jours, devait en plus jongler avec les amalgames, dont ceux faits par ses propres enfants. Même les amis de Karim, 22 ans, se sont mis à le questionner. Les musulmans lui parlent de complot, «de Coulibaly menotté et de rétroviseur chromé ou pas». Les autres «me demandent en quoi je crois, ce que je pense du djihad».

Entre «fort communautarisme» et «amalgame», Karim, lui, lit le Canard Enchainé et Charlie Hebdo. Le Canard toutes les deux semaines, un Charlie par mois, «surtout pour les dessins, très drôles, un peu à la manière d'un Kinder Surprise, je m’empresse de regarder la dernière page.» «Sceptique» plus jeune sur un hebdomadaire que «tout le monde décrivait comme raciste», Karim a acheté son premier exemplaire en 2012, au moment de l'affaire Merah. «J'ai ouvert les yeux, explique-t-il, en fait, ce sont ceux qui cherchent le plus à réunir sur les différences.» Mercredi, 700.000 personnes ont acheté Charlie Hebdo, dont au moins 670.000 Français pour la première fois.

* Le prénom a été modifié