Eric Donfu: «Aujourd’hui c’est parmi les plus défavorisés que se trouvent le plus de familles nombreuses»
INTERVIEW•L'Insee a dévoilé ce mardi une étude sur les familles nombreuses en France...Oihana Gabriel
Une famille française sur cinq compte trois enfants ou plus. L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dévoile ce mardi midi une étude sur les structures et spécificités des familles nombreuses françaises avec des données datant de 2011. Eric Donfu, sociologue et président de Dialogues et Relations Sociales analyse les changements de ces foyers.
La France a un taux de natalité plus important que beaucoup de ses voisins européens, est ce qu’elle a pour autre spécificité de compter davantage de familles nombreuses ?
Oui, la France est bien placée dans le classement européen des familles nombreuses. Jusqu’en 2000, les jeunes de moins de 30 ans mentionnaient plus fréquemment que leurs aînés un nombre idéal de deux enfants. Mais depuis, ce nombre diminue au profit de ceux qui affichent un idéal de trois enfants: de 27% en 2000 à 39% en 2006.
Pourquoi?
Il y a une culture de la maternité heureuse en France qui se traduit par une aspiration assez généralisée à avoir des enfants. La politique nataliste durant tout le XXe siècle a favorisé la conciliation entre le travail professionnel et l’éducation des enfants et a permis aux femmes de développer leur carrière tout en ayant des enfants, tandis que dans beaucoup de pays, les femmes choisissent soit de faire carrière, soit d’avoir des enfants mais hésitent à faire les deux.
Est-ce que la composition des familles nombreuses a changé ces dernières années?
Oui et notamment par l’apparition des familles recomposée nombreuses. Aujourd’hui les familles nombreuses se trouvent en plus forte proportion parmi les immigrés. Comme le montre l’étude de l’Insee, elles sont en moyenne plus pauvres et vivent dans des logements surpeuplés. Cela est dû notamment au changement dans les formes d’immigration qui sont devenues des immigrations familiales (et non principalement de travail). De plus la fréquence des divorces contribue à l’augmentation de familles monoparentales qui sont plus précaires.
Est-ce que cette sociologie est homogène?
Non, il y a une grande diversité dans les niveaux sociaux des familles nombreuses, il y a toujours à la fois des familles bourgeoises, des classes moyennes ou des ouvriers qui ont beaucoup d’enfants, mais les proportions respectives dans ces différentes catégories sociales ont changé. Aujourd’hui, c’est parmi les plus défavorisés que se trouvent le plus de familles nombreuses. Les grandes familles françaises catholiques existent toujours mais en plus faible nombre, du fait notamment du déclin de la pratique religieuse parmi les catholiques
Il y a en a moins qu’avant, pourquoi?
Les difficultés financières peuvent faire obstacle au projet d’avoir une grande famille, mais il y a aussi l’individualisme croissant. Les grandes familles exigent un plus grand engagement dans l’éducation des enfants et restreignent nécessairement les possibilités d’autres formes de réalisations personnelles des parents. Les problèmes de logement sont cruciaux et peuvent être le principal obstacle au développement des familles nombreuses
Est-ce que ces familles peuvent être confrontées au regard désapprobateur de certains?
Il arrive que certaines personnes désapprouvent le fait que des parents aient une nombreuse progéniture sans être capables de lui assurer une bonne éducation. Mais il y a aussi une réprobation sous-tendue par une attitude xénophobe.