INTERVIEWAttaque à «Charlie Hebdo»: «Se regrouper permet aux Français de ne pas être passifs et de se réassurer»

Attaque à «Charlie Hebdo»: «Se regrouper permet aux Français de ne pas être passifs et de se réassurer»

INTERVIEWHélène Romano, docteur en psychopathologie, revient sur la mobilisation massive des citoyens suite à l'attentat...
Céline Boff

Propos recueillis par Céline Boff

La France est en deuil et elle se recueille. Mercredi soir, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées spontanément, sur les places des villes et des villages français, pour rendre hommage à Charlie Hebdo. Hélène Romano, docteur en psychopathologie et référent de la cellule d’urgence médico-psychologique du Val-de-Marne, revient pour 20 Minutes sur ces rassemblements.

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Des milliers de personnes se sont spontanément rassemblées partout en France hier soir. Comment expliquer un tel besoin d’être ensemble?

Cela participe à ce que nous appelons les «rituels collectifs», qui sont presque instinctifs depuis l’aube de l’humanité. A chaque drame, les êtres humains ont besoin de se retrouver, de se réassurer sur le fait qu’ils ne sont pas seuls au monde. Cet attentat contre Charlie Hebdo a fragilisé la communauté des Français. Se regrouper leur permet de regagner de la cohésion et de ne pas être passifs. Face à cet événement indicible et insupportable, les citoyens ont besoin de retrouver du sens.

Il n’y avait pas eu de mobilisation similaire lors de l’affaire Merah. Qu’est ce qui est différent cette fois-ci?

Mohamed Merah avait surtout visé des Juifs, là, l’attentat ne cible pas une communauté particulière mais des civils de toutes origines, qui sont en plus des gens connus et des symboles de la liberté d’expression. L’identification projective est donc plus massive.

Même si les personnes visées sont des journalistes?

De nombreux citoyens reprochent aux médias de ne pas suffisamment évoquer les autres victimes –les policiers et l’agent d’entretien. Mais si le peuple de France s’indigne, si l’identification projective est massive, ce n’est pas parce que tel ou tel autre dessinateur a été assassiné, mais parce que la liberté d’expression a été attaquée.

Nombre de citoyens disent: «Ces terroristes ont voulu mettre la France à genoux, ils l’ont en fait mise debout». Qu’en pensez-vous?

Cette analyse témoigne de leur volonté de résister, de ne pas être passif, de reprendre le contrôle, d’être dans l’action. Mais comment va évoluer cette mobilisation dans le temps? Ce n’est pas parce que l’émotion est forte et les rassemblements nombreux que ce mouvement va perdurer dans le temps. Les Français ont souvent la mémoire courte… Et puis, les citoyens veulent être «debout», mais pour faire quoi? Pour que ce mouvement continue, il va falloir lui donner du sens.

De quelle manière?

Au-delà de la manifestation de dimanche, nous devons construire l’avenir pour ne pas répéter le passé. Cela nécessite de nous interroger. Pourquoi la France est-elle le principal pourvoyeur de combattants du djihad? Qu’est-ce qui nourrit chez certains de nos concitoyens cette rage, cette haine envers la France, contre ce qu’elle représente? Quel est le sens de nos valeurs, de la laïcité, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité? Nous devons reconnaître que nous avons eu des manquements, nous devons oser l’autocritique. Ce n’est pas un problème politique, mais une question culturelle, de société.

Quelles seront les conséquences psychologiques de cet attentat?

Elles différeront selon les individus. Depuis hier, je reçois des appels de personnes victimes de précédents attentats parisiens qui sont paniquées et qui ne peuvent plus sortir de chez elles… Au Samu du Val-de-Marne, où je travaille, l’émotion était extrêmement forte hier. Aujourd’hui, je suis au Samu à Chambéry et l’attentat ne résonne pas de la même manière ici. Ce qui est certain, c’est que les drames collectifs participent à l’histoire d’un peuple. Il y aura un avant et un après, comme c’est le cas à chaque fois.