Faut-il reconnaître le féminicide?
JUSTICE•L’association Osez le féminisme plaide pour la reconnaissance légale du crime de féminicide…Anissa Boumediene
Tuer une femme parce qu’elle est une femme, est-ce une circonstance aggravante? Pour l’association Osez le féminisme, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, et cela s’appelle un féminicide. Ce mardi, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le collectif lance une campagne pour la reconnaissance du féminicide, pour qu'il devienne un crime reconnu et puni en tant que tel par le code pénal.
«Reconnaître la violence générée par le machisme»
En France, la loi punit avec plus de sévérité les crimes de haine. Pour les meurtres commis en raison de l’appartenance ethnique, religieuse ou encore de l’orientation sexuelle de la victime, les peines encourues sont alourdies, passant de trente ans de réclusion criminelle à la perpétuité.
Pour Anne-Cécile Mailfert, porte-parole d’Osez le féminisme, «le crime de genre est un crime de haine» et il doit être puni en conséquence. «La violence est la première cause de mort des femmes de 15 à 44 ans dans le monde. C’est important de reconnaître cette violence générée par le machisme», poursuit-elle. Un avis partagé par Pascale Boistard, la secrétaire d’Etat aux Droits des femmes, qui emploie elle aussi le terme de féminicide et espère que la société va changer, sans pour autant être prête à lancer une action ministérielle.
«Une discrimination supplémentaire»
Autre son de cloche du côté de l’association SOS Hommes Battus, où la reconnaissance du féminicide serait perçue comme une couche supplémentaire à un mille-feuille législatif déjà indigeste. «Le droit se suffit à lui-même, d'autant qu'il y a déjà beaucoup de lois, en partie inappliquées» estime Sylvianne Spitzer, présidente de l’association. Si dans le cadre de ses fonctions pour la défense des hommes battus, Sylvianne Spitzer n’est pas complètement opposée à la reconnaissance de ce crime spécifique, «c’est à la condition que son pendant masculin, parfois appelé "mâlicide", soit reconnu lui aussi», dans la mesure où «les hommes victimes de violences conjugales subissent eux aussi une violence de genre». En revanche, «en tant que femme, je suis tout à fait opposée à cette notion de féminicide. J’entends là qu’à travers elle, les femmes seraient des êtres fragiles, sensibles et faibles qu’il faudrait prendre en charge», s’insurge la présidente. La clé d’une action efficace serait «la prévention et l’éducation».
Recentrer le débat sur la légitime défense
«Attention à trop de marginalisation», avertissent Janine Bonaggiunta et Nathalie Tomasini, du cabinet B&T. Partageant le point de vue de Sylvianne Spitzer, les deux avocates spécialisées dans les violences conjugales craignent que la reconnaissance du féminicide ne revienne à «considérer les femmes dans leur ensemble comme une minorité fragile». En revanche, «dans la sphère privée des violences intrafamiliales, les femmes sont effectivement plus fragiles», nuancent-elles, estimant que «le débat doit être recentré sur la légitime défense». Les deux avocates plaident non pas pour la reconnaissance du féminicide, jugeant l’arsenal législatif suffisant en la matière, mais pour «une refonte de la loi afin de considérer que la femme qui tue son mari violent est en état permanent de légitime défense».
Reconnue dans plusieurs pays, dont le Mexique et le Pérou, la notion de féminicide n’est à ce jour pas envisagée par le législateur français.