«Les gentils sont trop souvent perçus comme bébêtes»
INTERVIEW•Franck Martin, spécialiste de la communication, défend un management bienveillant dans le monde du travail mais aussi dans celui de la politique...Propos recueillis par Nicolas Beunaiche
«On ne vit pas au pays des Bisounours.» A force d’entendre cette phrase à chaque fois qu’il prônait la bienveillance dans les relations sociales, Franck Martin a fini par organiser la lutte des «gentils». Après Managez humain, c’est rentable, ce spécialiste de la communication qui a travaillé avec des grandes entreprises comme Areva mais aussi des coachs sportifs comme Raymond Domenech ou Bernard Laporte publie donc Le pouvoir des gentils*. Un véritable programme politique à destination de ceux qui veulent pacifier les relations entre les hommes. Il s’en explique à 20 Minutes, en cette journée internationale de la gentillesse.
Dans votre livre, vous préconisez la «gentillesse». Comment la définissez-vous?
C’est un concept dans lequel j’englobe le respect, la bienveillance, le fait d’être ouvert à la rencontre. Pour autant, je ne l’oppose pas à la méchanceté; mon objectif n’est pas que tout le monde devienne gentil. Il s’agit seulement de créer un sentiment de confiance car je considère que pour qu’un collectif soit performant, dans n’importe quel domaine, il faut que chacun soit capable d’avoir une écoute inconditionnelle de l’autre. Mon leitmotiv, c’est que la relation englobe le contenu. C’est elle qui permet de faire passer un projet.
La gentillesse est pourtant souvent perçue comme une faiblesse…
Le premier réflexe d’un patron, quand on lui parle de gentillesse ou de bienveillance, est en effet souvent de répondre: «On n’est pas là pour faire du social». C’est oublier que tous les projets de longue durée nécessitent de la confiance. Il faut être «gentil, mais pas con». Et pour cela, il faut être déterminé dans sa capacité à écouter l’autre, mais aussi poser un cadre de travail, le respecter et le faire respecter.
Quels sont les «gentils» qui vous inspirent?
Des gens que j’ai rencontrés dans ma vie: les entrepreneurs du Centre des jeunes dirigeants (CDJ), qui défendent des valeurs et sont à la tête de sociétés qui marchent, des élus comme l’ex-sénatrice Muguette Dini, qui passent leur temps sur le terrain, ou même Mme Karmazin, une professeure d’histoire-géo au collège qui m’a beaucoup appris grâce à son écoute, son respect des élèves, bref sa gentillesse… Dans le milieu de la politique, un homme comme François Bayrou entre aussi dans le cadre que j’ai défini. Je l’ai rarement entendu être malveillant; il est dans la compassion et a la passion de la rencontre. Or, comme beaucoup de gentils, il est perçu comme un peu bébête… Des hommes comme Gandhi, Lech Walesa ou Nelson Mandela ont pourtant montré que la bienveillance permet de durer et que la gentillesse n’est pas incompatible avec la rentabilité.
Vous avez travaillé avec Raymond Domenech. Vous le remerciez dans votre livre et lui consacrez quelques lignes. Vous le qualifierez de «gentil»?
Oui, c’est un vrai gentil. Quand, en 2008, après l’élimination des Bleus lors de l’Euro, il a fait sa déclaration d’amour à Estelle, la presse a décrit cela comme un écran de fumée. Mais Raymond est tout sauf un stratège, c’est un spontané. Il y va avec un cœur gros comme ça. Ce jour-là, il a voulu se raccrocher à la seule personne qu’il avait envie de voir dans ce moment délicat.
A l’inverse, qui aurait bien besoin de vos conseils, selon vous?
J’aimerais bien aller plus loin dans le milieu de la politique. Il y a vraiment urgence à parler «en mode projet», comme dans une entreprise. La différence entre ces deux mondes, c’est qu’aujourd’hui, quand un président de la République est élu, il entame son mandat avec grosso modo la moitié de la population contre lui. Un chef d’entreprise ne pourrait pas diriger sa société dans ces conditions-là, il déposerait le bilan deux mois plus tard. Si les lois étaient adoptées aux deux-tiers par exemple, on serait obligés de s’écouter et de s’entendre… Travailler «en mode projet», cela consisterait à désigner des responsables de dossiers capables de rassembler, sans forcément avoir des connaissances pointues sur le sujet dont ils s’occupent. Cela permettrait de dépasser les clivages et de parvenir au consensus. Cela se fait à l’échelle des mairies, pourquoi pas dans un gouvernement?
*Le pouvoir des gentils, éditions Eyrolles, novembre 2014.
Couverture du livre «Le pouvoir des gentils», de Franck Martin. - EDITIONS EYROLLES