INTERVIEWSuicide chez les policiers: «Ils ont un besoin important de reconnaissance»

Suicide chez les policiers: «Ils ont un besoin important de reconnaissance»

INTERVIEWJean-Claude Delgenes, fondateur de Technologia, cabinet de prévention des risques professionnels, explique en quoi cette profession présente des risques…
William Molinié

Propos recueillis par William Molinié

Depuis le début de l’année, 47 policiers se sont suicidés. C’est sept de plus que l’année dernière. Le dépassement de la barre des 50 est à craindre d'ici à fin décembre. Seuil qui n’a pas été franchi depuis l’année 2000. Face à l’urgence de la situation dans la police nationale, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a promis l’annonce de mesures dès le début 2015. Mercredi dernier, le patron de la police, Jean-Marc Falcone, a réuni l’ensemble des syndicats pour une réunion de travail. «Un guide pédagogique, pratique […] a été élaboré», a indiqué la police.

Fondateur et directeur général de Technologia, cabinet d’évaluation et de prévention des risques professionnels, Jean-Claude Delgenes a travaillé sur les crises à Renault ou France Telecom. Il revient sur les causes du malaise dans la police.

Les policiers sont-ils plus exposés au suicide?

Oui. Le taux de suicide chez les policiers, si la tendance pour cette année se confirme, est d’environ 50 pour 100.000, contre 16 à 17 pour 100.000 pour la moyenne française.

Pourquoi?

Tout d’abord, le policier doit faire respecter l’ordre public. Mais dans une journée, il fait différentes choses. Il aide à faire traverser une vieille dame, il renseigne quelqu’un sur son chemin… Bref, il est amené à adopter une gymnastique d’esprit très difficile. Par ailleurs, il est en perte de reconnaissance. On n’aime pas trop les policiers dans la rue. Or ils ont un besoin important de reconnaissance car ils exercent un métier dangereux au contact de la violence. Enfin, ils sont confrontés à l’impuissance de l’action de l’Etat face à la délinquance. Le sentiment d’impunité qu’ils ont au quotidien à combattre est très difficile à vivre. Et ils sont en contact permanent avec des armes à feu, ce qui peut faciliter le passage à l'acte.

Le suicide en France est-il tabou?

On a cinquante ans de retard sur les autres pays. On ne connaît pas par exemple les incidences du surendettement, des plans sociaux sur le passage à l’acte. Le rapport qui doit être rendu très prochainement par l’observatoire national du suicide devrait lever ce tabou. Les seuls chiffres à disposition font état d’environ 10.000 suicides par an mais ils datent déjà de deux ou trois ans. Il y a par ailleurs beaucoup de suicides cachés. Par exemple, pour des raisons d’assurance ou une logistique morbide, des suicides peuvent être maquillés en noyade.

Quels sont les autres métiers touchés?

Les professions les plus touchées sont les professions médicales. Les aides-soignants, les médecins… Les urgentistes sont très touchés par exemple. Cela s’explique par une banalisation du passage à l’acte et un fort investissement professionnel. Les agriculteurs aussi sont vulnérables. Ils sont confrontés à une situation qui les enferme. Ils vivent sur leur lieu de travail et développent peu de liens leur permettant de se sociabiliser. Ils sont très souvent confrontés à l’isolement, surtout pour les célibataires, en nombre important dans cette profession.