Mobilisation des professions réglementées: «Il y a depuis toujours, en France, une grande difficulté à vaincre le corporatisme»
INTERVIEW•Pour Jean Garrigues, spécialiste d'histoire politique à l’Université d’Orléans, la France est trop «figée» sur les corporatismes pour être réformée…Propos recueillis par Romain Lescurieux
L'Union nationale des professions libérales (UNAPL) a lancé une «journée sans professionnels libéraux» ce mardi 30 septembre afin de protester contre le projet de réforme de «déréglementation» des professions libérales. Près de 80 organisations professionnelles ont ainsi appelé à la fermeture des cabinets, officines, laboratoires ou encore études. Cette mobilisation est inédite dans l'histoire de l'organisation professionnelle. Jean Garrigues, spécialiste d'histoire politique fait le point pour 20 Minutes sur la France et son rapport difficile à la réforme.
Ce mouvement social, venant de professions qui n’ont pas l’habitude de se faire entendre, prouve-t-il que la France ne peut pas être réformée?
Même s’il est davantage présent ces dernières années, le problème de réformer la France n’est pas récent. En fait, il y a depuis toujours, en France, une grande difficulté à vaincre le corporatisme. C’était déjà un combat du général de Gaulle après la Libération. Mais le problème n’a jamais été réglé. Du coup, un jour ce sont les agriculteurs qui sont dans la rue, le lendemain les cheminots, puis les notaires, puis les pharmaciens. Il y a un certain nombre de professions hors régime général. Pourtant, pour réformer la France en profondeur, il faut toucher aux régimes spéciaux. Mais la marge de manœuvre est faible car la France est figée sur ces corporatismes qui peuvent se prévaloir d’une histoire et donc d’une légitimité.
Quelles sont les principales raisons de ce blocage?
La principale est ce réflexe corporatiste. Il y a aussi la difficulté d de représentation des syndicats dans le monde salarial qui a toujours été et existe encore. Il y a aussi le manque de dialogue et de négociations du côté des partenaires sociaux, le clientélisme politique avec des élus proches des groupes d’intérêt et un certain archaïsme de manière générale. Enfin, il y a un manque de politique globale. Les différents gouvernements saupoudrent tour à tour des réformettes. C’est une tradition française. Il n’y a jamais eu de plan d’ensemble pour mettre à plat le corporatisme.
Comment cette situation peut-elle évoluer ces prochaines années?
C’est désormais très compliqué de sortir de cette tradition. Il faudrait un consensus politique entre la droite, le centre et la gauche et une réflexion globale sur les privilèges et notamment les niches fiscales. Pour le moment, à chaque fois qu’il y a une tentative de réforme de la droite, la gauche s’y oppose et quand c’est à son tour d’apporter une solution, la droite monte au créneau. Le consensus politique est une condition majeure. Sans cela, rien ne pourra bouger en France.