Un auteur marqué très à droite rédige «Les Migrations pour les nuls»
POLEMIQUE•Le livre est sorti jeudi en librairie et est signé Jean-Paul Gourévitch, souvent cité par le Front-National. Les Editions First, l’éditeur, est critiqué à ce sujet par des spécialistes…20 Minutes avec AFP
Est-il possible de confier la rédaction d'un ouvrage de vulgarisation sur l'immigration à un auteur souvent cité par l'extrême droite? Les Editions First s'y risquent avec «Les Migrations pour les nuls» de Jean-Paul Gourévitch, en librairie jeudi et déjà contesté par des spécialistes.
«J'ai voulu rassembler toute la documentation existante de la façon la plus correcte, précise et objective possible», explique l'auteur, qui livre 400 pages où se mêlent lexiques, chiffres et digressions sur la prostitution, l'islamisation ou l'insécurité.
Ce docteur en sciences de la communication, auteur prolixe de livres sur l'Afrique ou pour enfants, est connu pour ses travaux sur les coûts de l'immigration qui lui ont valu d'être cité à plusieurs reprises par la présidente du Front national (FN) Marine Le Pen et son entourage.
Les Editions First, qui avaient saisi la justice pour empêcher Alain Soral de diffuser une caricature intitulée «Les Chambres à gaz pour les nuls», se défendent de tout coup publicitaire. «L'auteur est un spécialiste du sujet, il est consultant international», réagit une porte-parole.
Un calcul du coût de l’immigration contesté
Jean-Paul Gourévitch avait notamment suscité la polémique en 2008 en estimant le coût annuel de l'immigration pour la France à 36,4 milliards d'euros, un chiffre bien supérieur aux conclusions d'économistes de l'université de Lille ou de l'OCDE.
Dans «Les Migrations pour les nuls», il revient longuement sur cette question et conclut à un «surcoût» de l'immigration de 8,9 milliards d'euros par an pour le budget de la France. Il s'interroge aussi sur la rentabilité des «investissements» liés à l'immigration, dans lesquels il fait figurer pêle-mêle l'aide au développement, la rénovation des quartiers sensibles ou les subventions aux associations antiracistes.
«C'est un calcul impossible», estime l'historien Benjamin Stora, nouveau président du Musée de l'histoire de l'immigration. «L'immigration participe aussi du rayonnement de la France dans le monde, sur le plan de la culture, des affaires, de la diplomatie...»
«Manipulation des chiffres» et emploi de termes non scientifiques
Pire, «il y a une manipulation des chiffres», estime Virginie Guiraudon, directrice de recherches au Centre d'études européennes de Science Po. «On ne sait jamais d'où ils viennent, à quoi ils se rapportent.» Selon la sociologue, «il utilise aussi des termes qui n'ont aucune rigueur scientifique, par exemple « migration prénatale », comme si les foetus décidaient de migrer». «Des parties entières du livre ne portent pas sur les migrations mais sur des sujets comme la délocalisation des services ou l'islamisation, ajoute-t-elle. Cela alimente un discours anti-immigrés et anti-élites qui profite à l'extrême droite.»
«Je suis vraiment indépendant de tout, je ne roule pour personne», se défend Jean-Paul Gourévitch, qui dit juste vouloir lutter contre « la désinformation », les idées reçues «des bien-pensants de droite ou de gauche». «Je vais partout où je suis invité, que ce soit à l'extrême droite, à droite, à gauche ou au centre», précise-t-il encore..
La responsabilité de l’éditeur engagée
François Héran, directeur de recherche à l'Institut national des études démographies (Ined), insiste, lui, sur la responsabilité de l'éditeur: «on ne peut pas choisir quelqu'un qui écrit sur le mode de la dénonciation du complot». «Le fait qu'un auteur comme celui-là soit chargé d'un livre d'initiation dans une collection aussi populaire, dit-il, est un signe révélateur de la lepénisation des esprits.»