Internet: Le droit à l’oubli, ce n’est pas pour demain
NUMERIQUE•Si les moteurs de recherche doivent désormais étudier les demandes de déréférencement des internautes, la procédure reste encore très imparfaite…Nicolas Beunaiche
Les moteurs de recherche fonctionnent visiblement au diesel. Alors qu’ils ont rendez-vous ce jeudi avec les autorités européennes de protection des données (G29) afin de finaliser les modalités du «droit à l’oubli» pour les internautes, seuls deux d’entre eux, Google et Microsoft Bing, ont pour l’instant accédé à la demande de la Cour de justice de l’UE. En vertu de l’arrêt du 13 mai, tous ont pourtant l’obligation de mettre en ligne un formulaire permettant à qui-le-veut de demander le déréférencement d’une page Web comportant des informations personnelles périmées ou inexactes. Verra-t-on demain la mise en œuvre complète du droit à l’oubli? Cela semble mal parti. 20 Minutes liste les cinq principaux obstacles.
Une désindexation, pas un effacement
«Dans le cas de l’arrêt de la Cour de justice de l’UE, parler de droit à l’oubli est impropre, corrige tout de suite Me Anthony Bem, avocat spécialiste des questions d’e-réputation. Il ne s’agit pas d’effacer les traces d’un individu sur le Web, mais seulement de désindexer certaines pages.» Pour un effacement pur et simple, il faudrait en effet également contacter le créateur de la page. L’arrêt de la Cour de justice de l’UE se contente d’exiger des moteurs de recherche un déréférencement.
Des règles floues
Dans son arrêt, la Cour de justice de Luxembourg précise que les internautes peuvent demander à un moteur de recherche la désindexation de pages contenant des informations inexactes ou fausses, incomplètes ou inadéquates, obsolètes ou plus pertinentes, excessives ou inappropriées. Des conditions générales, qui restent floues. Même pour Google, qui a créé un comité consultatif chargé d’examiner les problématiques relatives au «droit à l’oubli».
Des moteurs juge et partie
«Google est juge et partie.» C’est le porte-parole de la firme américaine lui-même, Peter Barron, qui l’a dit. Il reproche ainsi à la justice de lui avoir délégué son rôle en matière de droit à l’oubli. Fin mai, Google a obtempéré et mis en ligne son formulaire qui lui permet de faire le tri entre les demandes, suivie par Bing en juillet. «Une vaste plaisanterie», selon Me Bem. «L’idée de ces deux moteurs de recherche est de cadenasser les demandes de désindexation, ajoute-t-il. Ils demandent aux internautes de justifier leur requête, ce que l’arrêt de la Cour de justice de l’UE n’exigeait pas.» Mieux encore: lorsqu’ils désindexent une page, ils se contentent d’envoyer à l’éditeur un mail l’en informant, sans indiquer l’identité du demandeur ni le motif de sa requête. Une question de respect de la «vie privée des personnes concernées», répond Google.
Une désindexation européenne, pas mondiale
Internet a beau être une pieuvre mondiale, il n’existe pas de convention internationale régissant son usage, rappelle par ailleurs Me Anthony Bem. Quant à l’arrêt de la Cour de justice de Luxembourg, il ne s’applique, lui, qu’aux Etats européens. En d’autres termes, si Google désindexe un contenu sur le Vieux Continent, rien n’empêchera un internaute canadien ou australien d’y accéder à partir de sa version locale de Google.
Le conflit vie privée-droit à l’information
Plusieurs sites se sont déjà émus de voir une partie de leurs contenus désindexée par Google. En Grande-Bretagne, le Guardian s’est ainsi plaint du déréférencement d’au moins six articles. En France, NextINpact a été l’un des premiers visés, avant 20 Minutes, Libération, La Croix et quelques autres. Et la liste devrait bientôt s’allonger, puisque la France est l’un des pays où le nombre de demandes est le plus élevé, selon Google. Reporter sans frontières s’en est agacé, dénonçant «une influence sur l’accès aux informations d’actualité et sur la vision du monde des utilisateurs des moteurs de recherche».