Mères porteuses: «Nos filles ne seront plus les fantômes de la République»
PROCREATION•La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour la non-reconnaissance d'enfants nés de mère porteuse à l'étranger...Romain Scotto
Dans quelques semaines, le livret de famille de Dominique et Sylvie Mennesson devrait gagner deux lignes. Ce couple de Maisons-Alfort vient d’être autorisé à inscrire le nom de leurs jumelles, nées il y a quatorze ans en Californie d’une mère porteuse. Leurs embryons avaient été conçus avec des spermatozoïdes du mari et les ovocytes d’une donneuse. Après des années de procédures devant la Cour d’appel de Paris, puis la Cour de Cassation, la Cour européenne des droits de l’homme a finalement condamné la France pour la non-reconnaissance de leurs enfants nés grâce à une gestation pour autrui (GPA). Elle estime que leur refus de transcrire des actes de filiation réalisés aux Etats-Unis portait atteinte à «l’identité» des enfants. Quel que soit leur mode de gestation.
Dans la foulée, la ministre de la Justice Christiane Taubira a précisé que «la France ne reviendrait pas sur l’interdiction de la GPA mais sera «attentive» à la situation des enfants nés à l’étranger de mère porteuse». Pour Sylvie Mennesson l’arrêt de la CEDH est «une victoire» mais il lui en faudrait plus pour verser dans un triomphalisme total. Les autorités françaises ont encore la possibilité de porter un recours devant la Grande Chambre européenne dans un délai trois mois. «On exhorte le gouvernement à ne pas faire cette chose-là», clame le couple.
«Dans les registres d’états civils français, elles n’existaient pas»
Désormais, les deux adolescentes auront un statut légal, sans que celui-ci soit remis en question. «Dans les registres d’états civils français, elles n’existaient pas. Nos filles ne seront plus les fantômes de la République, précise leur mère. C’est comme si vous n’aviez pas l’autorité parentale alors que vous l’exercez.» Au quotidien, une banale démarche administrative pouvait se transformer en problème insurmontable. Sans parler de la détresse morale d’une famille, non reconnue comme telle par l’Etat. «En grandissant, nos enfants ne comprenaient pas. Ils demandaient: "pourquoi la société ne veut pas de nous?"»
Si l’arrêt de la CEDH fait réellement jurisprudence, tous les pays européens devront désormais reconnaître les enfants nés à l’étranger d’une GPA. Vingt-quatre pays le font déjà, y compris onze qui l’interdisent sur leur territoire. Mais à l’image de la France, douze pays (Andorre, Allemagne hormis lorsque le père d’intention est le père biologique, Bosnie, Lettonie, Lituanie, Moldavie, Monaco, Monténégro, Roumanie, Serbie et Turquie) n’avaient pas encore franchi le pas.