Le Contrôleur général des prisons prend les détenus au pied de la lettre
JUSTICE•Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté qui prend sa retraite vendredi, reçoit plus de 4.000 lettres de détenus chaque année…Vincent Vanthighem
Sur certaines, l’écriture est ronde et soignée. Sur d’autres, griffonnées à la va-vite, elle est quasiment illisible. Mais toutes les lettres qui parviennent au 16-18 quai de la Loire, à Paris, sont porteuses d’un message de désespoir. Quittant son poste ce vendredi, Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) va laisser à son successeur un service de gestion du courrier en plein boom.
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«Depuis la loi de 2007, toute personne détenue a la possibilité de saisir le Contrôleur, détaille Maddgi Vaccaro qui gère ce service. La première année, nous en avons reçu 1.300. Et puis le bouche-à-oreille a fonctionné…» En 2013, ce sont ainsi plus de 4.200 courriers qui sont arrivés dans la boîte aux lettres du Contrôleur. «Nous nous efforçons de leur répondre dans un délai d’un mois et demi à deux mois, poursuit la responsable. Toutes ces personnes jettent des bouteilles à la mer…»
«Mais enfants aurait pu venir»
Comme cette femme, épouse d’un détenu, qui se plaint de ne pas avoir droit aux visites d’une écriture enfantine mais tellement touchante: «Mais enfants aurait pue venir 2 fois par semaine car leur père leurs manque tro (sic)…» Ou cette détenue qui déplore le manque de suivi psychologique après le suicide d’une de ses voisines de coursive. «L’une d’entre nous a dû aller nettoyer sa cellule, indique-t-elle dans son courrier. C’est normal?»
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A chaque fois, le même dispositif se met en place. «Nous accusons réception du courrier et nous commençons à enquêter pour vérifier et apporter une réponse. Nous effectuons aussi des visites dans les prisons, explique l’une des permanentes chargée de cette tâche. Bien souvent, les détenus nous réécrivent pour nous remercier. La plupart du temps, personne ne répond jamais à leurs demandes…»
«La parole est méprisée, malmenée, ignorée»
Dressant le bilan de six années d’activité, mercredi 4 juin, Jean-Marie Delarue n’a pas manqué de le souligner. «En prison, la parole est méprisée, malmenée, ignorée, a-t-il précisé. Avec ce système de saisines, on a permis d’écouter l’inaudible…»
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Car c’est bien de ça qu’il s’agit. En témoigne, la lettre de ce détenu atteint d’un cancer de la vessie et porteur d’une poche urinaire artificielle. «Le juge m’avait promis une cellule individuelle mais ce n’est pas le cas et mes codétenus me mènent la vie dure à cause de ça.» Il y a aussi ces parents qui se plaignent que leur fils incarcéré «n’a pas eu l’opportunité de changer de vêtements et de sous-vêtements» depuis trois semaines, malgré l’envoi de deux colis.
Empilés dans les armoires et jusque sur les bureaux des salariés chargés de leur traitement, tous ces courriers ont nourri, ces dernières années, les avis rendus par le Contrôleur. «Nous avons permis de faire évoluer les choses, conclut Jean-Marie Delarue. Même s’il reste tant à faire…» Pour sûr. Juste avant son départ, il a réclamé la création de trois nouveaux postes afin de permettre le «traitement plus rapide» des courriers.