Le Grand Paris menace-t-il les terres agricoles franciliennes?
•AGRICULTURE – Avec le projet du Grand Paris et ses 70.000 logements à construire par an, les sols cultivables de la région risquent d’être grignotés…Oihana Gabriel
«Le paysage a changé ces dernières années: on voit plus de grues dans les champs que d’arbres dans les plaines», fulmine Pierre Bot, maraîcher à Saclay (Essonne). Cet agriculteur exprime son inquiétude face à la disparition du grenier francilien alors que la première région agricole du pays voit ses champs perdre du terrain. «Il y a cinquante ans, les agriculteurs nourrissaient Paris, reprend Pierre Bot. Aujourd’hui, en petite couronne, il n’existe plus que des embryons d’exploitations, repoussées toujours plus loin de la capitale. Mais à force d’être expropriés, les agriculteurs n’iront plus jusqu’à Paris pour livrer leurs productions.» Et les chiffres corroborent ce grignotage express: en Ile-de-France, 1.500 hectares de terres agricoles sont effacés de la carte chaque année. Et 25% des agriculteurs ont disparu en dix ans.
Des avancées pour la préservation des terres
Mais selon plusieurs observateurs, la courbe pourrait s’inverser. Pour Olivier Thomas, président de l’Agence des espaces verts d’Ile-de-France, l’urbanisation galopante et sans limite touche à sa fin: «Dans dix ou vingt ans, on fera le constat que les terres agricoles ont été protégées.» La loi du Grand Paris, qui a sanctuarisé certaines surfaces et le schéma directeur de la région (Sdrif), adopté au conseil régional en octobre, s’inscrivent dans cette volonté.
«Tout le monde peut convenir que la sanctuarisation d’hectares agricoles est une bonne nouvelle, tempère Mounir Satouri, président du groupe EELV à la région. Cela ne veut pas dire que tous les combats sont gagnés.»
«Il y a une sensibilisation des citoyens, donc les élus font davantage attention à ne pas trop bétonner, assure Olivier Thomas, président de l’AEV. Le Grand Paris tel qu’il se dessine concerne surtout la première couronne où les espaces agricole ne sont pas légions. On sait qu’il y aura un impact mais notre boulot, c’est de le limiter.»
Le risque existe en grande couronne
Mais l’attention se porte tout de même sur la grande couronne, que certains voient comme des réserves pour béton. Avec le plateau de Saclay et la plaine de Montesson, le triangle de Gonesse (Val d’Oise), et son projet d’Europa City, fait partie des point de discorde de la carte francilienne. «Europa City, c’est notre “Notre-Dame des Landes”, résume Mounir Satouri. C’est l’exemple type du projet inutile.» D’ici à 2020, le groupe Auchan prévoit d’ouvrir un immense centre mêlant culture, loisirs et commerces sur 80 hectares.
Ecologistes comme agriculteurs suggèrent donc que les 70.000 logements annuels prévu par le Grand Paris soient construits près des gares et sur des friches industrielles. Sauf que dépolluer, transformer un ancien site industriel coûte bien plus cher aux promoteurs que de bâtir sur un champs. «La pression pour qu’un champ devienne constructible est énorme», ajoute Olivier Thomas. Qui souligne qu’«un hectare de près peut coûter entre 10.000 et 20.000 euros… et jusqu’à 3 millions quand il est constructible. C’est un peu comme s’il gagnait au loto!»
Et pourtant, la mode du consommer local et des circuits courts devraient freiner cet appétit de terres. Et Pierre Bot de souligner la contradiction: «On consomme de la campagne et après on s’y intéresse!» Avec la loi du Grand Paris, qui sanctuarise 2.300 hectares de terres cultivables sur le plateau de Saclay, mais qui prévoit d’urbaniser 400 hectares, la ferme de Pierre Bot va perdre 10% de sa surface. «La terre c’est comme l’air et l’eau, ça ne se multiplie pas, insiste Pierre Bot. Ce qu’on perd on ne le retrouvera pas.»