Un juré condamné pour avoir violé le secret du délibéré
"Je ne regrette pas d'être honnête": l'ancien juré d'assises Thierry Allègre a été condamné jeudi à deux mois de prison avec sursis par le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) pour avoir violé le secret du délibéré.© 2013 AFP
«Je ne regrette pas d'être honnête»: l'ancien juré d'assises Thierry Allègre a été condamné jeudi à deux mois de prison avec sursis par le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) pour avoir violé le secret du délibéré.
«Malheureusement je m'y attendais un peu. Je n'ai pas de colère, je suis simplement écrasé par un système», a déclaré ce chef cuisinier de 44 ans originaire d'Agen (Lot-et-Garonne) et qui travaille à Paris.
«Je suis allé au bout de mon combat. Si je suis entendu tant mieux, sinon dommage, mais je ne regrette pas d'être honnête», a poursuivi cet amateur de rugby au solide gabarit de talonneur.
Lors de son procès en octobre, le procureur André Ribes avait requis trois mois de prison avec sursis, rappelant l'importance du secret du délibéré, clef de voûte d'une justice pénale sereine, «afin que les jurés ne soient soumis à aucune pression».
En novembre 2010, Thierry Allègre avait été tiré au sort pour être juré d'assises à Melun (Seine-et-Marne), pour juger un homme accusé d'un viol sur mineur.
Dans sa plaidoirie, la défense évoque la possibilité de voter blanc, une éventualité qui existe et qui bénéficie au mis en cause lors du décompte des voix. Mais, au début du délibéré, la présidente de la cour d'assises fait savoir qu'elle ne veut pas de bulletin blanc. Finalement, l'homme jugé écopera de cinq ans de prison, dont deux avec sursis.
Tiraillé par sa conscience, Thierry Allègre écrit début 2011 une lettre à la magistrature, restée sans réponse, dénonçant les infractions sur le vote blanc et un vote à main levée au commencement du délibéré à la demande de la magistrate professionnelle, ce qui est interdit.
Car selon lui, si le vote blanc n'avait été pas écarté lors des débats, la majorité qualifiée n'aurait pas été atteinte et l'accusé serait aujourd'hui libre.
Le procès en question, dit Lambert, doit être jugé une quatrième fois (la 3e fois aux assises), en avril 2014 à Créteil, où Thierry Allègre devrait être amené à témoigner.
«Levez-vous et criez!»
Brisant l'article 304 du code de procédure pénale qui impose aux jurés «de conserver le secret des délibérations», Thierry Allègre décide en avril 2011 de dévoiler les infractions commises selon lui par la présidente de la cour, aujourd'hui à la retraite, dans un entretien au Parisien.
Lors de son procès, M. Allègre dénonce la mainmise des jurés professionnels lors des délibérés et l'impréparation des jurés populaires, ce qu'il a répété bien volontiers jeudi dans la salle des pas perdus du tribunal de Meaux.
«Aux milliers de jurés, je dis: vous avez le droit de voter blanc et personne ne peut vous dire le contraire. Si vous vous apercevez qu'il y a des manipulations et des lois qui sont bafouées, n'hésitez pas et faites comme moi, levez-vous et criez!».
La dénonciation de la part d'un juré populaire de la mainmise des magistrats professionnels n'est pas nouvelle.
En 1912, André Gide, relatant son expérience de juré dans «Souvenirs de la cour d'assises», avait expliqué son «angoisse » de voir «combien il est malaisé pour le juré de se faire une opinion propre, de ne pas épouser celle du président».
En 2012, Pierre-Marie Abadie, dans «Juré d'assises, témoignage d'une expérience citoyenne et humaine» (L'Harmattan), avait lui dénoncé «le rôle central et quelque peu exorbitant exercé par le président dans les débats comme dans les délibérations».
Un des défenseurs de M. Allègre, maître Dominique Mathonnet, a indiqué à l'AFP que son client ferait «très probablement» appel.
«Thierry Allègre a dit la vérité et a été condamné. Le scandale, c'est que le système judiciaire n'ait pas voulu enquêter et faire la lumière sur ce délibéré», a expliqué l'avocat.