Le chemin de Compostelle, une route vers soi
Bâton en main et pieds endoloris, des milliers de "cheminants" ...© 2013 AFP
Bâton en main et pieds endoloris, des milliers de «cheminants» foulent chaque année les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, une aventure vieille de 1.000 ans où la quête personnelle, voire le défi sportif supplantent de plus en plus le pèlerinage religieux.
A Conques, village perché de l'Aveyron, les pèlerins font partie du paysage. Ce bourg médiéval aux toits en lauzes est, avec son abbatiale, l'une des haltes les plus insignes de la «via podiensis», le plus fréquenté des itinéraires français.
Venus à pied, en VTT ou à dos d'âne des immenses étendues de l'Aubrac, des pèlerins de tout acabit s'y retrouvent pour se requinquer, lier connaissance et soigner les bobos du randonneur. Au réfectoire de l'Hôtellerie de l'abbaye, malgré ses «arpions en piteux état», Jacques, jovial sexagénaire de Montpellier, est intarissable sur les vertus du chemin, «exceptionnel par les rencontres que l'on y fait». «Plus qu'un chemin de randonnée, c'est un chemin de vie», affirme-t-il, courbaturé mais ravi après huit jours de marche.
Bons samaritains
Aux dires de chacun, l'effort et la souffrance partagés poussent le cheminant à devenir un bon samaritain. «Ici, il n'y a ni riches, ni pauvres. C'est la fraternité qui prédomine, pas le statut social», raconte Ginette, une «accro» au chemin, qu’elle arpente pour la sixième fois.
En vingt ans, le nombre de pèlerins ayant atteint Saint-Jacques-de-Compostelle a doublé, selon le bureau des pèlerins de la ville. En 2012, ils étaient plus de 192.000 à avoir atteint la terre promise galicienne, et près de 20.000 à traverser l’Aveyron.
Depuis le Moyen-Age, les pèlerins traditionalistes partent avec le désir d'expier leurs fautes et de vénérer les saintes reliques de l'apôtre Jacques, décapité en 44 à Jérusalem. Mais pour les marcheurs d'aujourd'hui, les motivations sont ailleurs.
«Accumuler les kilomètres, c'est se réconcilier avec son corps, se réconcilier avec soi», dit Amandine, qui a choisi de parcourir, seule, 1.530 kilomètres à vélo. «Il y a six mois, j’ai tenté de mourir et aujourd'hui, je n'ai jamais été aussi bien dans ma tête».
Il y a ceux qui partent après un deuil, une rupture sentimentale ou professionnelle et qui ont grand besoin de «savoir où ils en sont». Comme Pauline, qui a quitté son job d'assistante commerciale au Québec. «Je pars pour être libre, et prendre le temps de choisir ce que je veux vraiment faire de ma vie», confie celle qui a choisi de «laisser faire désormais la providence».
Voyage initiatique
«Thérapie» ou «voyage initiatique», le chemin de Compostelle permet au «jacquet» des temps modernes «de lâcher prise et de se déconnecter du stress du quotidien», résume le sociologue-pèlerin Georges Bertin.
Pour les moins épris de spiritualité, ce voyage au long cours représente un dépassement, même si l'introspection n'est jamais bien loin: «Se retrouver à souffrir sous le cagnard, c'est un bon moyen de se remettre en question», dit Daniel, chef d'entreprise breton, qui avale 40 à 45 kilomètres par jour, deux fois plus que le marcheur habituel.
Du côté de l'Eglise, on voit d'un bon oeil ces brebis égarées se mêler aux vrais fidèles. «Le chemin de Compostelle peut permettre à des marcheurs de redécouvrir le Christ», estime le frère Jean-Régis, de l'Ordre des Prémontrés, en charge de l'abbatiale de Conques. Le chemin de Compostelle est en effet un terrain favorable pour permettre à «la mémoire de Dieu de resurgir dans la conscience» de chacun.