A Saint-Denis, des médecins désarçonnés

A Saint-Denis, des médecins désarçonnés

Les médecins des Franmoisins désarçonnés face à la montée des violences

A Saint-Denis (93), la cité des Franmoisins est malade. Du chômage, de l’exclusion, de l’état des logements . Mais quand les maux sont médicaux, les soignants qui viennent les soulager ne sont pas pour autant forcément bien accueillis. Les médecins souffrent de travailler dans cette zone. Certains partent ; bien peu sont remplacés.

"C'est devenu plus compliqué"

Nathalie Nisenbaum, médecin à Saint-Denis depuis 16 ans, ne sait « plus trop quoi en penser ». Depuis quatre ans, elle intervient dans la cité pour des soins palliatifs auprès des personnes victimes de cancers ou de maladies graves. Il y a encore quelques semaines, elle a été victime d’un vol à la portière. « A l’aveugle », pense-t-elle. Elle n’a pas pu récupérer son sac. « Il y a quelques années, quand on se faisait voler sa sacoche, on pouvait aller discuter avec les jeunes de la cité pour la récupérer. C’est devenu plus compliqué. »

Nouvelles habitudes

Ne pas se balader avec son sac dans la cité, ne pas venir avec « une belle moto », tout cela, cela fait bien longtemps que les personnels soignants l’ont intégré. Mais Nathalie Nisenbaum raconte : « Quand l’un d’entre nous s’est fait voler sa photo il y a quelques semaines et qu’il a voulu la récupérer, des jeunes ont rétorqué que les médecins n’étaient pas là quand on avait besoin d’eux. Pour nous, c’est difficile à entendre. ». Cette médecin a « le sentiment que la situation se dégrade » mais ne veut pas noircir le tableau, et se demande si elle n’est pas « victime du discours ambiant ». Elle raconte l’histoire d’un médecin de la cité, qui après s’être fait braqué, a reçu les « excuses des grands frères ». Pourtant, comme les autres soignants, elle doit se rendre à l’évidence : « Les médecins partent. Vers le sud ou ailleurs en France. Parmi les quelques-uns qui restent, beaucoup approchent de la retraite. Qui les remplacera ? Plus personne ne veut venir»

"Au moins une agression verbale par jour"

Au santé service de Montreuil, qui permet l’hospitalisation à domicile, on explique qu’on ne rencontre pas aux Franmoisins autant de problèmes qu’à d’autres endroits, comme à Epinay, où« six voitures ont été abîmées récemment en six jours et où les infirmières ne prennent plus leurs voitures mais se rendent sur place en taxis. » .« Bien entendu », à Saint-Denis aussi on respecte les précautions de base – « On ne met pas la bagnole n’importe où »-. Mais le service ne s’alarme pas autant que Marie-Christine Cariou, infirmière libérale dans la cité. « Cela se passe de moins en moins bien », annonce-t-elle-elle d’emblée, avant d’ajouter être victime d’ « au moins une agression verbale par jour ». Du patient - « Ce matin, on m’a dit vous me prenez trop de sang » - au délinquant « sans foi ni loi » qui agresse sans motif apparent. « Depuis un an ou deux, on n’est plus à l’abri », dit-elle au regard de ses 32 ans sur place. « Même quand on a la foi, cela devient difficile. Avant ils cassaient des voitures. Maintenant ils veulent se faire des pharmacies. »

Permanences de nuit arrêtées

Marie-Christine Cariou raconte que la dernière fois où elle est allée demander des comptes aux jeunes, certains lui ont demandé qu’elle les paye pour l’escorter. « A chaque fois que je vais les voir, ça se calme pendant un temps, et puis ça dérape de nouveau. En même temps, on n’a pas envie de travailler avec des flics dans le dos » Une fois, sa voiture a été cassée. Son GPS volé. Une autre fois, la serrure de son cabinet bidouillée. Et depuis le vol d’un ordinateur dans son cabinet, elle a décidé de ne plus laisser le local en libre-accès. Surtout, quand elle est victime d’une agression, elle ferme désormais son cabinet, 24 heures de plus à chaque fois « Certains viennent me dire « Mon père a pas eu son antibiotique ». Je leur réponds « Tant pis. Il n’avait qu’à t’élever ». Notre seul atout, c’est que les enfants ont leurs parents à notre merci. Même si, bien sûr, j’assure toujours les soins vitaux. » En revanche, elle a définitivement arrêté les permanences de nuit. « Avant les gens pouvaient venir jusqu’à 22h. Maintenant, à 20h max, on ferme à clef et on descend le rideau de fer. Après c’est le no man’s land. » Marie-Christine Cariou a même placardé des affichettes dans le quartier, pour sensibiliser les familles. « Certains parents sont venus me voir. M’ont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour m’aider. Je leur ai dit que j’avais encore sept ans à travailler ici, qu’il n’était pas question que je parte. Mais que je ne supporterais pas d’être embêtée pendant sept ans ».

Michaël Hajdenberg