SOCIETEBébés congelés: «Le nombre de néonaticides est sous-estimé»

Bébés congelés: «Le nombre de néonaticides est sous-estimé»

SOCIETELa chercheuse Anne Tursz apporte son éclairage sur le phénomène...
Propos recueillis par Mathieu Gruel

Propos recueillis par Mathieu Gruel

Derrière le fait divers sordide, se cache une réalité complexe. La découverte de bébés congelés, dimanche dans l'Ain, remet en lumière l'infanticide, et plus précisément le néonaticide -ces décès survenant le jour de la naissance. Anne Tursz, directrice de recherche à l’Inserm et auteur du livre Les oubliés. Enfants maltraités en France et par la France (Editions du Seuil), revient pour 20 Minutes sur les conditions sociales et psychologiques qui poussent ces mères à tuer leurs nouveau-nés.

Peut-on évaluer l'ampleur de ce phénomène?

Le nombre de néonaticides est très difficilement quantifiable. Notre enquête, basée sur l'analyse des dossiers judiciaires de trois régions de France (Bretagne, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais) sur une période de cinq ans (1996-2000), nous a tout de même permis de constater qu’il était sous-estimé. Il y en a, en effet, 5,4 fois plus dans les données judiciaires que dans les statistiques officielles de mortalité.

Cela représente combien de cas?

Après recoupement avec les statistiques officielles, cela représentait 2,1 néonaticides sur 100.000 naissances, contre 0,39 dans les statistiques officielles. Sur cette période et sur cette zone géographique, cela nous faisait ainsi arriver à un total de 27 cas, dont neuf où la mère n’a jamais été retrouvée.

Qu'est-ce qui les pousse à agir?

C'est généralement le fait que la grossesse leur semble «inassumable», pour une raison ou pour une autre. Ça peut être parce que la mère ne se sent pas épaulée, ou parce qu'il y a eu une incompréhension avec le père. Nous avons recueilli beaucoup de témoignages d'hommes qui avaient par exemple dit à leur conjointe: «Si tu me fais un troisième enfant, je te quitte.» Et Dans la plupart des cas, la justice ne reproche rien à ces hommes.

Existe-t-il un profil type de ces mères qui tuent leurs enfants?

D'après notre enquête, il ressort que leur âge moyen est de 26 ans et qu'un tiers d’entre elles avaient au moins trois enfants. Plus de la moitié vivait avec le père de l’enfant et les deux tiers avaient une activité professionnelle. Quant à leur catégorie socioprofessionnelle, elle ne différait pas de celle des femmes de la population générale. Ce qui est frappant cependant, c'est que ces femmes, qui n'avaient pas de maladies mentales, avaient peu confiance en elles, présentaient une certaine immaturité, des carences affectives et une forte dépendance à l’autre, voire une peur extrême de l’abandon.

Ce phénomène est-il nouveau?

Non, j'ai le souvenir d'un livre historique qui parlait du phénomène au XVIIIe et XIXe en Bretagne. C'est un mode de régulation des naissances qui a toujours existé. Pour l'enrayer, il faudrait promouvoir la contraception et aborder le problème d'éducation sexuelle autrement que comme une simple histoire de tuyauterie.