Langage: joindre le geste à la parole

Langage: joindre le geste à la parole

Le plus souvent le geste accompagne la parole, mais pour les sourds, la gestuelle est une langue à part entière: des travaux originaux, menés par des spécialistes du langage, tentent d'établir quels sont leurs liens.
© 2011 AFP

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Le plus souvent le geste accompagne la parole, mais pour les sourds, la gestuelle est une langue à part entière: des travaux originaux, menés par des spécialistes du langage, tentent d'établir quels sont leurs liens.

Dans le premier cas, les "gestes co-verbaux", que l'on fait en parlant, sont "une création individuelle, produits spontanément et très souvent de façon inconsciente", explique la linguiste Marion Tellier, qui travaille sur les gestes dans la communication au sein du Laboratoire Parole et Langage (LPL) d'Aix-en-Provence.

Au contraire, dans les langues des signes, essentiellement pratiquées par des personnes sourdes et leur entourage, le langage produit par le corps est "systématisé", avec un lexique et une grammaire, "une grammaire spatiale", indique Leïla Boutora, qui étudie différents aspects de la langue des signes française.

Et même si l'on parle une langue des signes différente dans chaque pays, leurs caractéristiques permet une compréhension rapide entre locuteurs de différentes langues. Quelques jours suffisent à une personne s'exprimant en langue des signes française pour comprendre la langue des signes japonaise, assure Leïla Boutora.

Marion Tellier souligne une "cohérence sémantique" et une "synchronie" entre le geste co-verbal et la parole: le geste complète la parole, la doublonne parfois, et le "point culminant" du geste est synchronisé avec le "pic" du discours.

La langue des signes française, utilisée par 80.000 personnes, est différente des gestes co-verbaux, car il s'agit d'un système gestuel "autonome" par rapport au français, souligne Leïla Boutora qui a entrepris de comparer les deux formes de communication.

Quatre-vingt pour cent des sourds adultes sont illettrés en France, souligne-t-elle, l'apprentissage de la lecture reposant sur le lien entre les lettres et les sons. Et moins de 10% des enfants sourds ont des parents sourds et donc la langue des signes comme langue maternelle.

De son côté, Marion Tellier a conduit une étude sur les gestes de futurs enseignants de langue. Ses premiers résultats montrent que lorsque l'on s'adresse à des personnes dans une langue qui n'est pas leur langue maternelle, on a tendance à accompagner son discours de gestes "plus illustratifs, plus amples et qui durent plus longtemps".

Elle rappelle par ailleurs que lorsqu'on parle au téléphone, sans interlocuteur en face, on fait des gestes. De même que deux aveugles qui discutent ensemble font des gestes. "Le geste sert aussi à la personne qui parle, il aide à structurer le discours, soulage le cerveau qui produit la parole en direct, aide à rechercher le lexique", explique-t-elle.

"Le geste est une fenêtre sur la pensée du locuteur", résume-t-elle.

Jusqu'où gestuelle co-verbale et langue des signes sont-elles proches ? Quels peuvent être leurs liens ? Au sein du LPL, les deux équipes "travaillent en parallèle et en commun", une proximité scientifique "unique en France", souligne Leïla Boutora.

Elle s'attache notamment à comparer et mutualiser les méthodes de description des linguistes et des informaticiens qui travaillent sur la langue des signes et les gestes co-verbaux.

Créé en 1972, le LPL est une unité de recherche du Centre national de la Recherche scientifique associée à l'université de Provence et à l'université de la Méditerranée. Il regroupe des phonéticiens, des linguistes, des informaticiens, des psychologues, des neurologistes, des physiciens et des médecins.