De Tchernobyl à Fukushima, qu'est-ce qui motive la peur du nucléaire?
CATASTROPHES•Pour les scientifiques, elle est liée autant à la radioactivité elle-même qu'à l'imaginaire humain...© 2011 AFP
Panique, sentiment d'impuissance: les réactions aux catastrophes de Tchernobyl et Fukushima trahissent une peur liée à la nature même de la radioactivité, invisible, mais aussi à l'imaginaire de l'homme et à l'histoire de l'atome.
«Tout ce qui est invisible nous met sur nos gardes» et ce qui risque de pénétrer à l'intérieur du corps «crée des appréhensions», car «l'homme a une peur ancestrale d'avaler un poison», explique le neurologue Hervé Chneiweiss. «Le cerveau humain est un détecteur d'avenir», résume ce chercheur du Centre de psychiatrie et neurosciences de l'hôpital Ste-Anne à Paris, qui souligne que la peur est une émotion aiguisant l'attention et préparant à agir.
«On passe notre temps à essayer d'anticiper», à élaborer des scénarios sur la «base des imaginaires qui nous ont peuplés». Or par rapport à l'atome, il y a toute une histoire, dit-il, évoquant Hiroshima, Nagasaki, le Dr Folamour, la science-fiction et des films comme le «Syndrome chinois».
Impact de la «culture ambiante»
D'autres experts soulignent l'importance de la «culture ambiante» qui peut par exemple expliquer pourquoi le nucléaire fait davantage peur en Allemagne qu'en France. «L'Allemagne est aujourd'hui décentralisée avec de très mauvais souvenirs des périodes centralisées», note Jean-Paul Langlois, président de l'Institut de maîtrise des risques.
Au-delà de l'opposition entre une «France jacobine», avec une gestion centralisée du nucléaire, et une «Allemagne décentralisée», le physicien et philosophe Etienne Klein relève que «les Allemands se sentent consciemment ou inconsciemment responsables de la bombe américaine». Ils auraient créé «le climat politique» permettant Hiroshima.
Dans les années 30, la radioactivité était connotée «positivement: on faisait de la publicité pour le radium», remarque par ailleurs Etienne Klein, pour montrer qu'un rayonnement imperceptible par nos sens n'est pas d'emblée perçu comme inquiétant.
Comme une «contamination infectieuse»
La mise en alerte, la peur s'explique-t-elle par les dangers auxquels l'homme a dû s'adapter au fil de millénaires d'évolution? Les maladies contagieuses étaient une menace réelle et invisible. «Emotionnellement», déclare l'anthropologue américain John Tooby, les gens considèrent «la contamination nucléaire comme si c'était une contamination infectieuse», hors de toute idée de dose.
Alors que nous «baignons dans une mer de rayonnements, toute infime hausse de radiation est considérée comme un risque épouvantable», poursuit ce spécialiste de la psychologie évolutionniste.
Prêt à braver les risques choisis, en continuant à fumer par exemple, l'homme s'insurge contre les risques subis, relèvent d'autres experts.
Le risque devient fatalité
Les réactions dépendraient aussi des «solutions imaginables» pour éliminer le risque. S'il n'y en a pas, «le risque s'efface», il est considéré comme «une fatalité», argumente Etienne Klein.
Après l'accident de Bhopal en Inde, «personne n'a dit: on doit arrêter l'industrie chimique», dit-il. Le nucléaire serait «pensé comme un risque» parce qu'on sait comment «on pourrait l'annuler», ajoute ce professeur de philosophie chercheur au CEA. Le manque de confiance dans les déclarations d'experts, la difficulté d'appréhender un risque du domaine du probable, sans savoir si on a été contaminé ou non, contribuent aussi à la peur du nucléaire.
Même si on dit à quelqu'un: «vous n'avez pas reçu de dose», il reste une une forme d'inquiétude, de doute, reconnaît Didier Champion, de l'Institut de radioprotection et des rayonnements ionisants (IRSN). Avec l'idée que «si on n'a rien vu, c'est peut-être qu'on a mal cherché».