santé mentaleComment les astronautes gèrent leurs missions sur le plan psychologique

« Constellation » : Comment les astronautes gèrent leurs missions sur le plan psychologique dans la vraie vie

santé mentaleLa série d’AppleTV + cartonne avec son histoire d’astronaute perdant les pédales à son retour, mais qu’en est-il dans la vraie vie ?
Manon Minaca

Manon Minaca

L'essentiel

  • Dans la série « Constellation » une astronaute de retour sur Terre après une mission dans l’espace qui a mal fini perd les pédales.
  • Mais la réalité des astronautes est toute autre, ceux-ci étant sélectionnés pour leur stabilité émotionnelle et leurs capacités à communiquer leur permettant de réagir avec sang-froid aux situations extrêmes et d’éviter les conflits.
  • Il n’empêche que les moments pour soi sont essentiels pour mener leur mission à bien et dans les meilleures conditions.

L’espace rendrait-il fou ? Dans la série Constellation, disponible sur AppleTV + depuis le 21 février, l’astronaute Jo Ericsson (interprétée par Noomi Rapace) perd pied après son retour de mission à bord de la Station spatiale internationale (ISS), victime d’une collision avec un objet non identifié. Persuadée d’être la seule à avoir vu certaines choses et incomprise par ses équipes, elle ne reconnaît plus sa vie et commence à percevoir la réalité de manière altérée, souffrant d’hallucinations visuelles et auditives.

Cette histoire est de la pure science-fiction mais elle pose tout de même la question de l’équilibre psychologique des astronautes lors de leurs missions spatiales, qui les plongent pendant environ six mois dans des conditions extrêmes d’enfermement, de stress, de danger et d’isolement.

Si la plupart d’entre nous vivraient très mal cette expérience, cette situation ne perturbe pas le moins du monde les astronautes. « Ces conditions de vie très particulières, c’est quelque chose qu’on recherche, c’est une grande partie de l’expérience, témoigne l’astronaute Jean-Pierre Haigneré, qui a effectué, entre autres, une mission de 186 jours sur l’ancienne station russe Mir en 1999.

L’intérêt, c’est de progresser dans l’affrontement d’opérations délicates, physiques, risquées et de voir comment on réagit, comme une analyse. On est sélectionnés pour notre motivation énorme pour l’espace, qui va au-delà de la crainte pour notre vie. »

Un profil psychologique spécifique

La sélection des astronautes, justement, est un élément central des missions spatiales. Pour Bernard Comet, docteur à l’Institut de médecine et de physiologie spatiales qui a suivi neuf astronautes, « 90 % du bon déroulé des opérations repose sur le choix de l’équipage ».

Le processus, extrêmement rigoureux, s’étale sur près de deux ans, pendant lesquels les candidats passent de nombreuses évaluations psychologiques de performance et comportementales. « En vol, on a donc des mecs bien câblés, qui ne s’affolent pas pour un rien, qui ne se laissent pas démonter, qui communiquent bien et qui sont particulièrement stables, directs et francs, précise le médecin. On vole depuis 1961 et on n’a jamais eu de crise majeure due au mauvais choix d’un équipage ou d’un astronaute. »

Cet état d’esprit est primordial pour gérer d’éventuels incidents graves lors d’une mission. « Votre formation et votre typologie mentale font que vous vous mobilisez complètement pour résoudre le problème avec les outils que l’entraînement vous a donnés, explique Jean-Pierre Haigneré. Sur le coup, il n’y a jamais de panique, il y a des forces qui se développent en vous pour sortir de cette situation grave. On prend conscience de la peur une fois qu’on est sortis de l’événement. »

Un sang-froid qu’a dû mettre en pratique l’astronaute lors de son premier vol, en 1993, juste avant de décoller : « L’ingénieur de bord a dit qu’il y avait peut-être un incendie sur le lanceur. Ma première pensée, ça n’a pas été “on risque notre vie”, mais “merde, ça fait huit ans que j’attends”. »

Les conflits peu fréquents

Les astronautes ont donc des nerfs d’acier, ce qui facilite la vie à bord et évite les conflits potentiels. « Six mois, c’est un morceau de vie, donc quand vous vivez à plusieurs dans un espace très confiné, il y a tous les ingrédients pour des tensions, se souvient Jean-Pierre Haigneré. Mais du fait de la sélection, de la mission commune, de la conscience de vivre quelque chose d’exceptionnel, ces tensions sont largement compensées et ne se concrétisent que rarement. »

Et quand c’est le cas, les astronautes les gèrent rapidement : « On n’a pas beaucoup besoin d’intervenir, raconte Bernard Comet. Quand il y a une mésentente dans les équipages, ils en parlent, ils dégonflent le problème et nous, au sol, on ne s’en rend même pas compte, on l’apprend bien après. »

Là encore, la bonne entente entre les membres de l’équipage n’a rien d’un hasard. « Avant une mission, les astronautes s’entraînent ensemble pendant deux ans. Ils vivent les uns sur les autres, ils voyagent ensemble… Et s’ils ne s’entendent pas bien, on le voit très vite », argumente le médecin. Une proximité que Jean-Pierre Haigneré, qui a vécu neuf ans en Russie avec des astronautes russes pour la préparation de ses différentes missions, a trouvée utile : « Si on connaît leur langue et leur culture, on peut pleinement partager cette expérience. Je connaissais parfaitement les deux Russes avec qui je suis parti, que ce soit leur langue ou leur culture, donc ça s’est bien passé. »

Les éventuelles mésententes peuvent en effet s’expliquer par des différences culturelles, l’ISS (et Mir avant elle) faisant cohabiter, entre autres, Américains, Russes et Européens.

Trouver un équilibre

Même si tout se passe bien à bord, l’un des risques auxquels les astronautes sont exposés durant les missions longues est la perte d’efficacité et de concentration. « Il est de la responsabilité de chacun de prévoir un certain nombre de contre-mesures pour éviter de dévier psychologiquement et pour garder cette même qualité d’opérateur tout au long du vol », affirme Jean-Pierre Haigneré.

Cela passe par un rythme de sommeil normal, mais aussi par les moments pour soi : « Quand vous êtes à bord, tout est télécommandé depuis le sol, chaque demi-heure de votre vie est programmée. Si vous vous laissez aller à ce rythme de vie pendant six mois sans rien avoir préparé pour vous, vous vous appauvrissez, se remémore l’astronaute.

J’avais donc préparé des choses pour me consacrer du temps à moi, à mes projets : j’avais prévu de faire un livre de photos, j’avais amené un saxophone pour continuer à apprendre de nouvelles choses et j’écrivais une tribune pour Le Figaro toutes les semaines. J’avais donc mon propre programme et ma vie à moi, et c’est ça qui m’a assuré, je pense, une certaine stabilité psychologique. »

Anticiper le retour sur Terre

Autre étape potentiellement difficile pour les astronautes : le retour de mission. « Il faut se préparer, un peu comme pour la retraite, pose Jean-Pierre Haigneré. Si vous passez de l’activité professionnelle intense au vide intégral d’un seul coup, c’est très dur. Et puis les astronautes, tout le monde les connaît, tout le monde les admire, les trouve formidables, donc ça génère en vous une certaine satisfaction, et quand vous revenez, rapidement, vous n’existez plus. »

D’où l’importance d’avoir des plans pour la suite : « Avant de partir, j’avais candidaté pour un poste au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA), donc je savais qu’au retour, je serais chef des astronautes européens. J’ai pris mon poste deux mois après être rentré sur Terre, donc je n’ai pas eu le temps de beaucoup penser à ma mission et d’avoir la nostalgie de l’aventure extraordinaire que j’avais vécue. Ça me convenait tout à fait, car je n’aime pas trop regarder en arrière. » Des solutions utiles pour les futures missions lunaires et martiennes, qui s’annoncent très longues.