Avion vert : Plutôt qu’une « solution mirage », il faut réduire le trafic pour décarboner l’aviation
L’heure tourne•Prendre le temps de développer des technologies incertaines retarde l’action face à l’urgence écologiqueXavier Regnier
L'essentiel
- Trois jours avant l’ouverture du salon du Bourget ce lundi, Emmanuel Macron a présenté un plan d’investissements pour développer l’aviation verte, avec un volet sur l’avion de demain et un autre sur les carburants.
- Mais quand Airbus anticipe un doublement du nombre d’avions dans le ciel d’ici 2050, 20 Minutes s’est posé une question : l’avion vert suffira-t-il pour faire rentrer le secteur aéronautique dans les clous de la baisse des émissions nécessaire pour limiter le réchauffement climatique.
- Hydrogène, e-fuel ou carburant biomasse sont pour l’heure au mieux trop gourmands en énergie, au pire des « mirages », pour répondre aux besoins, selon les experts que nous avons sollicités, qui plaident plutôt pour une réduction du trafic dès aujourd’hui.
«Nous, Français, on doit être les champions de l’avion ultra-sobre ! » En déplacement dans une usine de moteurs d’avions Safran vendredi, Emmanuel Macron n’a pas manqué d’ambitions à trois jours du Salon du Bourget qui ouvre ses portes ce lundi. Dans la foulée du constructeur français Airbus, qui évoquait mercredi un doublement de la flotte aérienne mondiale d’ici 20 ans, le président français a dressé l’esquisse de l’aviation de 2050.
Dans la quête de l’avion vert, l’Etat français va ainsi investir « 300 millions d’euros par an » pour développer un moteur plus économe et des avions plus légers, et 200 millions pour créer des biocarburants innovants. De quoi rendre le moyen de transport le plus polluant à l’heure actuelle « zéro carbone » ? « C’est un argument fallacieux », tranche Charlène Fleury, coordinatrice du réseau Rester sur Terre, « dans la chaîne de production il y aura forcément » des émissions carbone.
Des carburants pas au point et un « maintien du trafic actuel insupportable »
Oublions un instant l’extraction de matière première pour construire les avions, les pollutions liées à leur production et l’artificialisation nette des sols qui va de pair avec le développement des aéroports, appelés à se multiplier pour absorber l’augmentation du nombre d’avions anticipée par Airbus. Trois options s’ouvrent pour voler « vert » : les agrocarburants (produits à partir de la biomasse), l’e-fuel ou l’hydrogène. Dans tous les cas, « le rendement énergétique est très mauvais », souligne François Kirstetter, haut fonctionnaire écrivant pour le think thank Terra Nova.
« Quand on crée du gaz vert, il y a un retour au sol de l’azote, ça peut être un levier vers une agriculture durable pour remplacer les engrais. Mais avec le carburant ça ne marche pas », développe-t-il. Quand à l’électricité nécessaire pour produire de l’hydrogène, « si on doit faire 25 EPR d’ici 2050, personne n’y croit ». « Le prélèvement d’énergie est d’une telle importance que même un maintien du trafic actuel est insupportable » avec ces technologies, calcule-t-il. Petite victoire dans le calcul du secteur aérien, « l’objectif de 42,5 % d’énergies renouvelables » en Europe en 2030, selon un accord signé samedi que la France a « salué », le texte actant « la reconnaissance du nucléaire » comme énergie décarbonnée.
L’avion à hydrogène vert, « un mirage »
L’impact global du carburant biomasse « n’est pas avéré » et il y a « beaucoup de fraudes », ajoute Charlène Fleury, alors que l’e-fuel « n’est pas au point et coûte très cher ». Quant à l’hydrogène, il s’agit d’une « solution mirage » pour cette ingénieure de formation, qui pointe un premier avion « au plus tôt en 2035 » qui pourra « seulement faire des courts courriers ». Soit des trajets pour lesquels le train permet déjà « une connexion fiable et plus efficace ». De plus, « si on veut de l’hydrogène vert, il faut de l’électricité verte dont on a déjà besoin ailleurs, la mise à l’échelle est impossible », cingle-t-elle. De même, en se penchant sur la feuille de route de décarbonation du secteur, « vu la surface de forêts qu’il faudrait planter, ce n’est pas possible » de compenser le carburant fossile, note François Kirstetter.
La coordinatrice réseau de Rester sur Terre appelle à ne pas oublier l’objectif d’une baisse de 55 % des émissions carbone d’ici 2035, étape clé vers la neutralité carbone vendue en 2050. Difficile d’imaginer un avion de 300 places volant à l’hydrogène avant cette date, ce qui place déjà « l’avion vert » largement hors des clous de la décarbonation. De plus, si le secteur aérien reprend son rythme de croissance de 2019, « il prendra tout le budget carbone de la France en 2050 ». Autrement dit, il faudra choisir entre voler et « se nourrir, se loger, s’habiller » pour ne pas faire exploser la facture et crever le plafond des 2 °C de réchauffement climatique, au-delà duquel « la situation devient incontrôlable ».
« Remettre de la justice sociale et réduire le trafic » dès maintenant
Le nombre d’avions dans le monde devrait doubler au cours des 20 ans à venir sous l’effet de la croissance du trafic aérien mondial estime Airbus. Pourtant, « Organiser la transition énergétique demande des compromis sociaux difficiles », avance François Kerstetter, et « si on pose d’emblée que le secteur aérien va doubler de taille et absorber toute l’énergie disponible », les sacrifices de toute une partie de la population « pour que quelques privilégiés partent en vacances ne passeront pas », estime-t-il. « Il faut dès maintenant remettre de la justice sociale et réduire le trafic », prône Charlène Fleury, notant que « 1 % de la population est responsable de 50 % des émissions du secteur aérien, alors que 80 % de la population mondiale n’a jamais pris l’avion ».
Ce qui ne veut pas forcément dire qu’il faut clouer l’humain au sol définitivement. « Il y aura toujours des avions en 2050 », assure François Kerstetter, mais « au sein des administrations publiques, tout le monde est conscient qu’une hausse du trafic aérien empêche tout bouclage sérieux des scénarios énergétiques », conclut-il. Au-delà de l’efficacité des technologies développées, « sous le joli label de l’avion vert », les annonces d’Emmanuel Macron font ainsi figure de « leurre pour empêcher de penser à des leviers plus politiques pour décarboner l’aviation », dénonce Charlène Fleury. Dimanche, la start-up Voltaero a dévoilé son nouvel appareil hybride qui pourrait être produit en série à partir de 2025, le Cassio 330, qui compte… cinq places.