Dans la stratosphère, les ballons espions ou scientifiques doivent voler dans les « règles de l’air »
« sky is the limit »•L’affaire du « ballon chinois » a mis un coup de projecteur sur les ballons stratosphériques, très utilisés par les scientifiques et de plus en plus par des sociétés privées. Leurs vols restent réglementésBéatrice Colin
L'essentiel
- En février, l’affaire du ballon chinois qui a survolé plusieurs pays, notamment de nombreux Etats aux Etats-Unis, a défrayé la chronique. L’installation est soupçonnée d’être un ballon espion censé survoler des sites militaires sensibles.
- Reste que depuis plusieurs décennies, ces aérostats sont utilisés à des fins scientifiques, notamment par Météo-France ou encore le Cnes et que de plus en plus de sociétés commerciales veulent se lancer dans leur utilisation, notamment pour du tourisme.
- Dans la stratosphère, aujourd’hui largement ballonnée, ces aérostats doivent cependant répondre à des règles en matière de survol, régies par la convention de Chicago de 1944. Explications.
Ils sont partout, « espions » au-dessus des Etats-Unis, « scientifiques » pour Météo-France, voire « médecins » pour le compte du centre national d’études spatiales (CNES). Les ballons, très utilisés durant la guerre froide, n’ont finalement pas été mis au rancart avec l’avènement des satellites et des drones. Pour preuve, l’aérostat chinois (et les trois autres appareils abattus dernièrement par les Etats-Unis) a démontré en ce mois de février que le ballon n’avait finalement jamais quitté la panoplie du parfait espion.
Ils sont même au cœur de recherches déjà bien avancées outre-Atlantique. La Darpa, l’agence qui planche sur les technologies destinées à l’usage militaire au sein du département de la Défense des Etats-Unis, travaille depuis plusieurs années sur un ballon qui pourrait rester au même endroit, sans être ballotté au gré du vent. Ce qui serait une prouesse technologique. En France, c’est la « division ballons » du Cnes qui s’intéresse de près à ces « ballons manœuvrant », selon Vincent Dubourg, sous-directeur « ballons ». « Nous espérons avoir un petit démonstrateur d’ici deux ans que nous développons avec la société Hemeria. Cela a un intérêt pour les scientifiques mais aussi pour les militaires », explique-t-il à 20 Minutes.
Des ballons qui doivent être immatriculés
La stratosphère qui se situe entre 12 et 50 km d’altitude (grosso modo entre l’espace aérien et l’espace tout court) est donc devenue un nouveau terrain de jeu pour les entreprises et industriels. Alors comment y « circulent » ces ballons qui se multiplient à la vitesse du vent ? La zone est moins réglementée que l’espace aérien mais les aéronefs ne peuvent pas y faire n’importe quoi non plus. « Nous sommes conformes à tous les règlements aériens, qui sont régis par l’organisation de l’aviation civile internationale (Oaci). Il y a les règles de l’air, c’est l’annexe deux appendice cinq de la convention de Chicago de 1944 qui dit que les ballons, selon la taille et surtout selon sa charge utile, doivent avoir un certain nombre d’accessoires à leur bord pour avoir une signature », rappelle Vincent Dubourg. Les « scientifiques des airs » doivent donc être immatriculés et avoir un répondeur radar permettant de signaler leur présence auprès des avions dans la zone allant de 0 à 18 km d’altitude.
Pour la zone allant de 20 km et jusqu’à 100 km, « c’est plus flou », concède Vincent Dubourg : « Quand on lit bien l’article huit de la convention de Chicago, il est écrit que tout objet non piloté, même dans cette zone-là, est censé demander l’autorisation de survol. C’est ce que nous faisons, nous au Cnes, on ne peut pas ne pas être en règle. » Tout simplement parce que chaque année, ses équipes implantées à Toulouse et à Aire-sur-l’Adour (Landes) lancent une quarantaine de ballons (du ballon-sonde léger à des plus gros pouvant tracter plus d’une tonne de charge) avec à leur bord cinq ou six expériences. Un savoir-faire dans la conception et l’exploitation qui dure depuis soixante ans.
Ces ballons servent à réaliser des mesures de composantes de l’atmosphère, notamment de la couche d’ozone, à détecter la vapeur d’eau, le méthane ou encore le dioxyde de carbone grâce à des instruments embarqués. Mais aussi la dynamique de l’atmosphère. Portées par les vents, ces installations de pointe permettent d’en apprendre plus sur leur vitesse et leur force, afin d’améliorer, entre autres, les modèles météorologiques.
Près de 50.000 ballons par an lancés par les services météo américains
De son côté, Météo-France doit également répondre de la convention de Chicago. Il faut dire que l’expert météo lâche chaque jour plusieurs ballons-sondes en latex depuis ses dix sites de radiosondage automatique et ses cinq sites de radiosondage manuel en Outre-Mer. Ils montent en deux heures jusqu’à 30 km d’altitude et dérivent jusqu’à 100 km de leur point de départ, avant d’éclater et de retomber au sol grâce à des parachutes. « Les instruments à bord mesurent la température et humidité et envoient vers la station au sol les données mesurées », indique à 20 Minutes le service national de météorologie. Et grâce au positionnement GPS, on peut en déduire la vitesse et la direction du vent.
Même règles du côté du National Weather Service américain qui lance chaque année près de 50.000 ballons alors que de multiples mesures sont réalisées chaque jour et partout dans le monde par d’autres services météo, en près de 900 lieux.
Sans oublier que ces aérostats ne servent pas que la météo. Ceux du Cnes ont, par exemple, déjà monté dans la stratosphère des télescopes d’astronomie ou encore des maquettes de navettes spatiales pour étudier leur aérodynamisme. « Nous avons aussi testé le système de décélération des parachutes pour atterrir sur Mars dans le cadre du programme ExoMars, en le larguant au-dessus de la Suède sur une zone quasi déserte », indique Vincent Dubourg. Et le responsable du Cnes de voir s’ouvrir d’autres horizons pour ses ballons : « nous travaillons avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de Lyon pour regarder l’effet des radiations sur les cellules souches, sur le vivant. On expose au-dessus de l’atmosphère des cellules souches, protégées par divers blindages, et nous regardons l’effet des radiations du soleil, les UV et les rayonnements X et gamma de l’univers sur ces cellules souches de manière à prévoir à terme comment mieux protéger les pilotes d’avion derrière leur cockpit, ainsi que les astronautes. »
Et au-delà de ces projets scientifiques, de nouvelles activités commerciales sont en train d’émerger. La société Fying Whales réfléchit ainsi à utiliser les ballons pour faire du transport de fret et donner la possibilité de convoyer par les airs des charges inaccessibles par la route, comme le tractage de bois là où un camion ne pourrait pas accéder. Le tourisme dans la stratosphère grâce à des ballons, moins polluant et coûteux qu’un tour en fusée vers la station spatiale internationale (ISS), est aussi en vogue. Rien qu’à Toulouse, deux sociétés, Stratoflight et Zephalto, sont sur les rangs.
Obligation de se déclarer aux pays survolés
Des bouchons pourraient donc bientôt se créer dans la stratosphère, sachant que Thales Alenia Space compte également y envoyer son Stratobus, un ballon stratosphérique dirigeable autonome qui pourra embarquer des missions de surveillance des frontières, des aléas environnementaux (feux de forêts, etc.) ou encore du matériel de télécommunication. Le tout en complément de l’activité satellite traditionnelle, plus coûteuse.
En 2021, lors d’une campagne de lâcher depuis les Seychelles de 17 ballons qui devaient faire le tour du globe, les équipes de Vincent Dubourg ont dû demander une autorisation de survol à 96 pays. Des demandes dont ne s’encombrent pas les pays lâchant leurs « ballons espions ». D’autant que si le répondeur-radeur des engins est coupé et le lâcher fait de nuit, ces « espions des airs » peuvent passer inaperçus et ne jamais être suivis à la trace. Jusqu’à ce qu’ils soient rattrapés par la patrouille… comme le fameux « ballon chinois » qui aurait dévié de sa trajectoire selon les dires de Pékin.
Notre dossier sur le Cnes
« Depuis le sol, on voit partir les missiles, on sait les détecter, on sait voir aussi les fusées et on sait où passent les satellites militaires. Un ballon, si on ne sait pas d’où il est lancé, il peut l’être de n’importe où. Il n’y a pas trop de signatures thermiques, hormis les gros que l’on peut les voir passer », reconnaît Vincent Dubourg. Avec l’apparition des nouvelles velléités de société commerciales, l’expert du Cnes sait que la réglementation des vols dans la stratosphère pourrait être revue et corrigée. Le chef de la « division ballons » espère juste que cela ne se fera pas aux dépens de la science.
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