EspaceQuel rôle pour les spatonautes de réserve de l’Agence spatiale européenne ?

Agence spatiale européenne : Quel rôle pour les spationautes de réserve ?

EspacePour la première fois, l’ESA a retenu la candidature de onze spationautes de « réserve ». Ils ont peu de chance de participer à une mission, mais pourraient intégrer un jour le corps des spationautes de carrière, vu la dynamique du secteur spatial
B. Colin avec E. Provenzano et F. Binacchi

B. Colin avec E. Provenzano et F. Binacchi

L'essentiel

  • Le 23 novembre dernier, l’Agence spatiale européenne a présenté sa nouvelle sélection de spationautes, avec pour la première fois, onze « réservistes ».
  • Non embauchés par l’ESA, ils suivront régulièrement des entraînements et joueront un rôle d’ambassadeur dans leur pays.
  • S’ils ont peu de chance d’intégrer le corps des astronautes de carrière, l’effervescence autour de la conquête spatiale pourrait permettre à certains d’entre eux de revêtir un jour la combinaison de spationaute.

Ils s’appellent Aleš Svoboda, Carmen Possnig ou encore Marcus Wandt. Ces noms ne vous disent rien ? Pourtant ils sont officiellement spationautes depuis quinze jours et la présentation par l’Agence spatiale européenne (ESA) des 17 candidats qu’elle a retenus parmi les 22.500 ayant postulé. Mais à la différence de la Française Sophie Adenot, ces trois sélectionnés ne sont pas « titulaires » mais « réservistes ».

Ils sont onze à avoir ce nouveau statut, bien connu lorsqu’on parle de l’armée ou de la gendarmerie, mais qui fait son apparition pour la première fois dans le domaine du spatial. Contrairement aux cinq nouveaux spationautes de carrière qui vont rejoindre Thomas Pesquet et Luca Parmitano dans les effectifs de l’ESA, eux n’ont aucune garantie de poser un jour un pied dans l’ISS ou sur la Lune.

« On doit se tenir prêts si un jour on nous appelle sur le terrain »

Ils vont même continuer à bosser dans leurs entreprises actuelles pendant que leurs camarades suivront une formation d’un peu plus d’une année à Cologne pour connaître le b.a.-ba du métier, avant d’être appelé un jour sur une mission spécifique. « Je n’ai pas un contrat de staff avec l’ESA mais un contrat de collaboration, de consultant. Pour nous, les réservistes, l’enjeu pour les prochains mois et années à venir va être d’articuler notre activité professionnelle et une contribution aux vols habités. Nous allons participer à certains entraînements, à la mission d’ambassadeurs du vol habité, à des expériences tout en continuant à évoluer dans nos carrières professionnelles. On doit se tenir prêts si un jour on nous appelle sur le terrain », explique Arnaud Prost, polytechnicien de 30 ans, ingénieur d'essai à la direction générale de l'armement (DGA).



Une question de répartition entre Etats

Avoir un volant de gens compétents « sous le coude » est une première et répond avant tout à des enjeux diplomatiques. « La représentativité dans le corps des spationautes est proportionnelle à l’investissement des pays dans le programme d’exploration. Ce sont ceux ayant fortement investi dans ce programme qui sont représentés dans le corps des spationautes européens de carrière. Une part plus réduite revient aux autres pays membres, dans la réserve il peut y avoir une plus grande représentativité », assure Jean Blouvac, responsable du programme exploration et des vols habités au CNES.

La France, l’Allemagne, l’Italie ou encore le Royaume-Uni ont ainsi l’assurance que leurs spationautes de carrière iront au cours des prochaines années dans l’ISS ou poseront un jour un pied sur la Lune. Comme Thomas Pesquet qui a déjà fait deux longs séjours dans la Station spatiale internationale. Ce qui, il y a encore quelques années, n’était pas une garantie lorsque votre CV était retenu parmi des milliers d’autres.

« Il y a des promotions plus anciennes où certains sélectionnés n’ont jamais volé. C’est le cas de Michel Viso par exemple, qui fait partie de la sélection de 1985 avec Claudie Haigneré et Michel Tognini. Il a fait une brillante carrière au CNES, on espérait qu’il puisse voler, mais ça n’a pas été le cas. Quand on était sélectionné à l’époque on appelait ça "candidat spationaute". Tant que vous n’aviez pas volé vous aviez l’étiquette "candidat". Il n’y avait pas de distinguo entre eux, mais ce sont les opportunités de vol qui le faisait », rappelle Rémi Canton, responsable du Centre d’aide au développement des activités en micropesanteur et des opérations spatiales (CADMOS) au centre spatial de Toulouse.

Et puis il y en a d’autres dont la candidature n’avait pas atteint le carré final mais qui ont fini par être « repêché ». C’est le cas notamment de l’Allemand Matthias Maurer. Il s’était présenté lors de la dernière sélection de l’ESA, en même temps que Thomas Pesquet, loupant d’un cheveu l’intégration du corps des spationautes en 2009. Toujours dans les petits papiers de l’Agence, il sera finalement sélectionné en juillet 2015. Et s’envolera pour l’ISS en novembre 2021 à bord d’un vaisseau spatial Crew Dragon de la société SpaceX.

« L’ESA se prépare à un changement de paradigme »

C’est un peu son parcours qui a poussé l’Agence spatiale européenne a institutionnalisé une réserve de spationautes. Pour l’heure, la perspective de revêtir un scaphandre pour ses nouveaux membres, qu’ils soient Polonais, Suédois ou Tchèque, reste plus qu’hypothétique. Mais pas impossible toutefois. « Ils peuvent devenir spationaute de "projet" si leur pays d’appartenance ou si une société voit l’intérêt d’avoir un vol particulier, qui peut venir soit d’une coopération, soit d’une opportunité dans le cadre de vols commerciaux. Dans ce cas précis, ils pourraient être assignés à une mission plutôt de courte durée, en tout cas moins longue que celle des astronautes de carrière », indique Jean Blouvac.

Il faut dire que depuis quelques années, la conquête spatiale est relancée, avec en ligne de mire la Lune, avant des missions habitées pour Mars. Avec des entreprises privées qui démultiplient les projets en parallèle de ceux portés des pays. « L’ESA se prépare à un changement de paradigme : il va peut-être y avoir bientôt beaucoup plus d’opportunités d’aller dans l’espace. Il y a de plus en plus d’acteurs qui pourront ouvrir le champ des possibles », estime l’Italienne Anthea Comellini qui fait partie de cette cohorte de réservistes. En attendant d’être appelée pour faire ce job « dont on rêve quand on est enfant », elle continue à travailler « sur les systèmes qui visent à augmenter l’autonomie des satellites » chez Thales Alenia Space, à Cannes.


L'Italienne Anthea Comellini, qui vient d'intégrer la réserve des spationautes de l'ESA, travaille chez Thales Alenia Space, à Cannes
L'Italienne Anthea Comellini, qui vient d'intégrer la réserve des spationautes de l'ESA, travaille chez Thales Alenia Space, à Cannes - Thales Alenia Space

Au-delà de ce contexte et des intérêts de chaque État membre au sein de l’ESA, avec ses homologues, elle pourrait aussi être appelée si l’un des astronautes de carrière décidait de raccrocher plus tôt ou était victime d’un pépin de santé les empêchant de retourner en orbite.

« Que tous les réservistes volent, je ne m’engagerai pas. En revanche, je ne serai pas surpris qu’on fasse appel à un ou plusieurs d’entre eux au regard de l’élan spatial actuel. J’ai été surpris par leur nombre, mais je le vois comme une décision de l’ESA face à la possibilité d’un développement des vols habités dont on ne saisit pas encore l’ampleur, donc faisons une sélection large pour ne pas être pris au dépourvu », analyse de son côté Olivier Sanguy, rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’Espace à Toulouse.

Tous vont se tenir prêts dans l’espoir de tutoyer un jour les étoiles. Et si jamais ce coup de fil n’arrivait jamais, ils auront toujours l’opportunité de candidater à nouveau lors des prochaines sélections de l’ESA, qui pourrait ne pas attendre treize ans comme la dernière fois pour relancer un appel à candidatures. « Car l’autre avantage en étant dans le corps des spationautes de réserves, c’est que, si leur certification physique est maintenue, lors d’une prochaine sélection, ils accéderont directement aux phases d’entretien », relève Jean Blouvac.

Pour ceux qui sortent à peine d’une année sur les chapeaux de roues dans cette course aux étoiles, pas question de faillir à leur nouvelle mission. « Même en étant sur le banc, j’ai quand même le cœur qui bat fort quand j’imagine ce rêve qui est en train de se concrétiser au niveau européen », conclut Arnaud Prost.