BZZZDes moustiques modifiés pour contenir dengue et chikungunya

Chikungunya, dengue, fièvre jaune : Les moustiques « modifiés » permettront-ils de contenir ces maladies ?

BZZZDécouvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Ce mercredi, deux chercheurs dévoilent des techniques de lutte antivectorielle
20 Minutes avec The Conversation

20 Minutes avec The Conversation

L'essentiel

  • On ne dispose pas encore de traitement médical efficace ni de vaccins adaptés dans la prévention des maladies transmises par les moustiques, selon notre partenaire The Conversation.
  • Des recherches visent cependant à réduire certaines populations de moustiques par des lâchers récurrents et massifs d’individus devenus « stérilisants » après manipulation génétique.
  • Cette analyse a été menée par Johanna Fite, chef de projets scientifiques à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, et Fabrice Chandre, directeur de recherche en entomologie médicale à l’Institut de recherche pour le développement.

Les maladies à transmission vectorielle, dont la plupart sont transmises par les moustiques (paludisme, dengue, Zika, chikungunya…), sont responsables de plus de 17 % des maladies infectieuses humaines et provoquent plus d’un million de décès chaque année dans le monde. Malgré les progrès réalisés dans la prévention de ces maladies, on ne dispose ni de traitement médical efficace ni de vaccins adaptés. La lutte antivectorielle (LAV) reste donc une priorité.

Parallèlement à la recherche de traitements médicaux et à l’amélioration des moyens classiques de LAV (insecticides, pièges…), de nouveaux modes d’action ont émergé depuis une quinzaine d’années. Parmi les options possibles se trouvent les moustiques génétiquement modifiés et d’autres types de moustiques modifiés, rendus stériles par irradiation ou par la technique de l’insecte incompatible (TII). Ces techniques visent à réduire une population de moustiques par des lâchers récurrents et massifs de moustiques stérilisants.

Quelles sont les différentes techniques pour obtenir des moustiques modifiés ? Où en sont les essais en cours en France ? Et quels sont les enjeux environnementaux et sanitaires liés à ces lâchers ?

​Les moustiques génétiquement modifiés

À ce jour, une seule technique basée sur des moustiques génétiquement modifiés est développée à un niveau opérationnel, il s’agit de la technique RIDL (release of insects carrying a dominant lethal gene, ou lâcher d’insectes porteurs d’un gène de létalité dominant). Des moustiques mâles qui, contrairement aux femelles, ne piquent pas, sont génétiquement modifiés. Leur descendance meurt avant d’atteindre l’âge adulte.

Cette technique a reçu une autorisation de l’Agence américaine de protection de l’environnement. Au printemps dernier, la société privée Oxitec a débuté un essai en Floride consistant à disséminer des œufs de moustiques Aedes aegypti (connu pour être vecteur de nombreux virus tels que ceux de la dengue, de la fièvre jaune, du chikungunya et du Zika) génétiquement modifiés dans la nature pendant trois mois.

Il s’agit de la première étude relâchant des moustiques transgéniques aux États-Unis, ce qui n’a pas été sans soulever quelques inquiétudes chez certains habitants. Reste à savoir quels seront les résultats de cet essai et s’ils seront plus concluants que le précédent réalisé entre 2013 et 2015 au Brésil, qui a conduit à la diffusion de gènes de la souche mutante dans les populations naturelles d’Aedes aegytpi.

D’autres techniques de moustiques génétiquement modifiés en sont à un stade plus précoce de recherche et de développement et reposent sur la technique du forçage génétique, qui vise à propager un caractère génétique dans une population naturelle, soit pour rendre les moustiques incapables de transmettre des agents pathogènes, soit pour éliminer cette population par propagation d’un gène de stérilité femelle.

​La technique de l’insecte stérile (TIS)

C’est une méthode de lutte contre les moustiques qui consiste à élever des moustiques mâles, à les stériliser par irradiation aux rayons X et à les lâcher sur le terrain où ils vont s’accoupler avec les femelles sauvages. Ces dernières ne s’accouplant qu’une seule fois, elles n’auront pas de descendance (voir Figure 1).

Figure 1 : Technique de l'insecte stérile
Figure 1 : Technique de l'insecte stérile - Collectif TIS (via The Conversation)

La TIS est un outil de gestion des populations d’insectes largement diffusés dans de nombreux pays, notamment en agriculture. Son utilisation en est à ses prémices en France.

Depuis 2009, l’IRD (Institut de recherche pour le développement) conduit des recherches visant à étudier la faisabilité de la TIS pour lutter contre le moustique tigre (Aedes albopictus), responsable de plus de 30.000 cas de dengue à La Réunion depuis 2018. Des lâchers hebdomadaires de mâles stériles ont débuté dans une zone pilote en 2021. Ces lâchers sont suivis par des indicateurs entomologiques, environnementaux et socio-économiques permettant d’évaluer l’efficacité et l’impact des interventions par la TIS.

D’autres essais pilotes sont à l’étude en France métropolitaine, dans la région montpelliéraine.

​Les techniques utilisant la bactérie Wolbachia

Une autre technique, dite de l’insecte incompatible (TII) repose sur l’utilisation de la bactérie Wolbachia. Cette bactérie infecte naturellement 60 % des arthropodes et est transmise de la mère aux descendants via les cellules sexuelles femelles. Si des moustiques mâles porteurs de Wolbachia sont libérés dans l’environnement et qu’ils s’accouplent avec des femelles n’ayant pas la bactérie ou ayant une bactérie différente, les œufs n’écloront pas. Relâcher en grande quantité des mâles porteurs de la bactérie Wolbachia permet ainsi de réduire très fortement des populations d’Aedes aegypti (stratégie de « suppression » sur la Figure 2).

Par ailleurs, des scientifiques ont observé que la présence de certaines Wolbachia empêchait la transmission des virus de la dengue, de Zika ou du chikungunya. Une seconde stratégie consiste à relâcher en masse des femelles porteuses de Wolbachia. Celles-ci vont pondre des œufs et transmettre la bactérie à toute leur descendance, peu importe que le mâle soit lui-même porteur ou non (stratégie de « remplacement » sur la Figure 2). Les femelles porteuses de Wolbachia ont un avantage sélectif sur celles non infectées, car leurs descendants sont viables avec les deux types de mâles, contrairement aux femelles sans Wolbachia, qui n’auront une descendance qu’avec les mâles non infectés.

Figure 2 : Technique de l'Insecte Incompatible (TII)
Figure 2 : Technique de l'Insecte Incompatible (TII) - J. Fite, Anses (via The Conversation)

A Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, des moustiques porteurs de Wolbachia ont été lâchés en 2019. L’essai est toujours en cours et depuis début 2022, un seul cas de dengue a été confirmé, contre plus de 1500 par an au lancement du programme.

​Questions soulevées par les lâchers de moustiques modifiés

Les lâchers de moustiques modifiés permettent de limiter l’usage des insecticides, qui constituent encore l’outil de lutte principal en cas d’épidémie. Or, on a atteint les limites de leur utilisation : d’une part parce que ces molécules toxiques pour les autres insectes finissent dans l’environnement et les chaînes alimentaires, d’autre part parce que les moustiques développent rapidement des résistances. Les techniques mentionnées dans l’article sont spécifiques des espèces de moustiques relâchées et n’ont pas d’impact sur d’autres espèces non-cibles.

Les méthodes basées sur la TIS, la TII ou le RIDL d’Oxitec, nécessitent des infrastructures lourdes sur le long terme pour l’élevage de masse des mâles qui sont relâchés régulièrement et en continu sur le terrain (environ quelques dizaines ou centaines de milliers par semaine). Elles présentent toutefois l’avantage d’être ajustables en fonction des données de surveillance entomologique.

D’autres techniques comme celles basées sur le forçage génétique ou la stratégie de remplacement avec la bactérie Wolbachia nécessitent moins de ressources pour la production de moustiques, mais présentent l’inconvénient, du fait du caractère héréditaire de la modification induite (transgène, bactérie), de modifier irréversiblement les populations de moustiques (voir avis de l’Anses sur le forçage génétique) et d’être moins contrôlables, soulevant la question de leur transfert potentiel à d’autres espèces.

Par ailleurs, ces techniques sont d’autant plus efficaces que la densité de moustiques est faible (Figure 3). Si les moustiques modifiés devaient s’inscrire dans une perspective de prévention ou de contrôle, ce serait sur le long terme après des lâchers répétés sur plusieurs semaines et non comme un outil d’urgence en cas d’épidémie, situation dans laquelle les lâchers de moustiques se révéleraient à eux seuls inefficaces.

Figure 3 : Optimisation de l'efficacité d'une intervention de lutte antivectorielle par la combinaison de la technique de l'insecte stérile avec des techniques classiques de lutte
Figure 3 : Optimisation de l'efficacité d'une intervention de lutte antivectorielle par la combinaison de la technique de l'insecte stérile avec des techniques classiques de lutte - D?après Feldmann & Hendrichs - 2001 (via The Conversation)

​La Lutte antivectorielle exige de s’appuyer sur une palette de solutions variées

Au final, la LAV exige de s’appuyer sur une palette de solutions variées combinant différentes approches complémentaires – y compris les mesures qui impliquent activement les populations – et sans bâtir une stratégie de lutte qui ne reposerait que sur l’une d’entre elles.


Notre dossier « MOUSTIQUE »

Aussi, il est nécessaire que les pouvoirs publics analysent l’ensemble des options de LAV, y compris celles qui font appel à des solutions biotechnologiques, pour réduire la résistance des populations de moustiques aux insecticides, minimiser l’utilisation de molécules délétères pour l’environnement, contrôler l’aire de répartition des moustiques vecteurs de pathogènes et prévenir l’émergence de nouveaux virus dans des territoires pour l’instant indemnes.

Cette analyse a été rédigée par Johanna Fite, chef de projets scientifiques à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), et Fabrice Chandre, directeur de recherche en entomologie médicale à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
L’article original a été publié sur le site de The Conversation.