Files d’attente : Comment les mathématiques peuvent aider à choisir la bonne caisse
LOGIQUE•Découvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Ce lundi, un professeur nous explique comment optimiser nos « passages en caisse »20 Minutes avec The Conversation
L'essentiel
- Une très sérieuse « théorie des files d’attente » sert à modéliser mathématiquement ce processus, selon notre partenaire The Conversation.
- Cette théorie permet de calculer l’attente moyenne qu’un client devrait subir en fonction de paramètres comme le temps moyen de service, le temps moyen entre deux arrivées ou le nombre d’agents en service.
- Cette analyse a été menée par Benjamin Legros, professeur en Finance à l’École de Management de Normandie.
Pour consulter un médecin, faire ses courses, ou appeler une entreprise, nous avons tous déjà perdu de précieuses minutes dans une file d’attente. L’expérience pénible de l’attente a conduit de nombreux services à réfléchir à ses causes et éventuellement trouver des solutions pour la réduire. Pour comprendre l’attente, la théorie des files d’attente, née en 1917 à la suite des travaux d’Erlang, a servi à modéliser mathématiquement ce processus, qui conduit des individus à ne pas être servis directement.
Commençons alors par une simple question : pourquoi est-ce qu’on attend ?
Imaginons une caisse de supermarché avec un agent qui sert chaque client en cinq minutes et où un client arrive toutes les 6 minutes. Ce système n’induira a priori aucune attente comme chaque client verra l’agent libre au moment de son arrivée à la caisse. Imaginons maintenant qu’un client arrive toutes les 4 minutes. Le premier client de la journée n’attendra pas, le second client attendra 1 minute, le troisième 2 minutes, le quatrième 3 minutes et ainsi de suite, si bien que la file d’attente va s’allonger indéfiniment.
Dans une telle situation, le système devient instable et ne permet pas d’atteindre un régime d’équilibre. Ces deux exemples suggèrent qu’à long terme, on ne devrait constater que des files infiniment longues ou totalement vides… ce qui est loin d’être le cas !
À la source de l’attente : la variabilité
Il manque dans ces deux exemples l’ingrédient principal de l’attente : la variabilité. Les temps de service et d’interarrivées sont en réalité aléatoire, ce qui induit par moments des arrivées concentrées, par moments des services longs, et conduit à des alternances entre périodes de file vide et périodes de file congestionnée. Ainsi, même si le temps de service est plus court en moyenne que le temps d’interarrivée, certains clients vont attendre.
La théorie des files d’attente permet de modéliser cet aléa et de calculer l’attente moyenne qu’un client devrait subir en fonction de paramètres comme le temps moyen de service, le temps moyen entre deux arrivées ou le nombre d’agents en service. Ces formules permettent de mieux comprendre les causes de l’attente et d’aider à la prise de décision lorsque l’intuition manque.
Quelle caisse choisir ? Celle pour moins de 10 articles !
Parmi ces questions, vous vous êtes peut-être déjà demandé vers quelle caisse aller dans un supermarché.
Si les deux caisses sont quasi-identiques, le choix n’a pas d’impact sur l’attente, mais on peut se trouver dans la situation où une des caisses est spécialisée « moins de 10 articles », et l’autre est une caisse normale. Dans ce cas, le temps moyen d’attente estimé, qui est égal au nombre de clients devant vous multiplié par leur temps de service, n’est pas forcément l’unique indicateur. Il y a aussi la variabilité des services qui compte. Les formules mathématiques montrent qu’une série de services courts est moins variable que quelques services plus longs.
Ainsi, même si l’attente moyenne est identique, il vaut mieux choisir la caisse pour moins de 10 articles, car cette caisse vous offre la plus grande chance de sortir vite du magasin.
Être peu mais rapides ou nombreux et plus lents ?
Une autre question : est-ce qu’il vaut mieux embaucher peu d’agents rapides ou beaucoup d’agents lents (sans prise en compte des coûts salariaux) ? On pourrait penser que cela revient au même d’avoir un agent qui sert chaque client en une minute ou 10 agents qui servent chacun un client en dix minutes. Or ce n’est pas le cas. Il vaut mieux embaucher peu d’agents rapides.
La théorie des files d’attente modélise les situations où certains agents ne travaillent pas du fait de l’absence de client dans la file, ce qui arrive plus souvent quand il y a beaucoup d’agents, comme plus de clients peuvent être servis simultanément. Dans ces situations, la performance de la file n’est pas optimale, ce qui conduit à des performances dégradées avec de nombreux agents lents en comparaison d’une situation avec peu d’agents rapides.
Faut-il réguler le flux des clients entrant au supermarché ?
Il est clair que l’attente augmente avec le volume des arrivées et avec le temps de service. On peut se demander ce qui est le pire : voir une augmentation des arrivées ou subir un ralentissement des services ? Les deux phénomènes semblent assez équivalents. Pour autant, les formules montrent que pour un même taux d’occupation, défini comme la proportion de temps pendant laquelle un agent sert des clients, il est pire d’avoir des services lents. Il n’y a pas d’intuition claire derrière ce résultat, pour autant les conséquences managériales sont importantes, conduisant les entreprises à mettre plus d’effort dans le maintien d’une productivité au travail, plus que dans une régulation des flux entrants.
Notre dossier « MATHÉMATIQUES »
En résumé, la théorie des files d’attente est un outil puissant qui permet de prendre des décisions concernant le routage des clients, le nombre d’agents à embaucher, et la conception d’un système de service. Comme l’attente concerne la plupart des services, des plus quotidiens comme les supermarchés, les centres d’appels et les systèmes de partage de vélo, aux plus fondamentaux comme les urgences hospitalières, les outils de ce champ d’études ne cessent de se développer pour aider à des prises de décisions plus efficaces.
Cette analyse a été rédigée par Benjamin Legros, professeur en Finance à l’École de Management de Normandie.
L’article original a été publié sur le site de The Conversation.