ESPACE-TEMPSComment on améliore la détection des ondes gravitationnelles

Ondes gravitationnelles : Pourquoi les outils permettant de les détecter sont en constante évolution

ESPACE-TEMPSDécouvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Aujourd’hui, un chercheur nous explique pourquoi il faut « upgrader » les détecteurs Ligo et Virgo
Vue aérienne de l'instrument Virgo à Cascina, près de Pise en Italie. Chaque bras mesure 3 kilomètres
Vue aérienne de l'instrument Virgo à Cascina, près de Pise en Italie. Chaque bras mesure 3 kilomètres - The Virgo collaboration / Wikimedia CC0 1.0
20 Minutes avec The Conversation

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L'essentiel

  • Les premières ondes gravitationnelles – qui confirment, entre autres, l’existence de trous noirs – ont été détectées il y a cinq ans, selon notre partenaire The Conversation.
  • Les deux instruments qui « captent » les signaux de ces phénomènes depuis la Terre sont en perpétuelle évolution, et ils seront bientôt rejoints par deux autres.
  • L’analyse de ce phénomène a été menée par Nicolas Arnaud, chercheur CNRS au laboratoire de physique des deux Infinis Irène Joliot-Curie de l’Université Paris-Saclay.

Ce n’est pas tous les jours que l’on détecte un nouveau messager capable de nous en apprendre plus sur l’Univers et les astres extraordinaires qui le composent ! C’est pourquoi, lorsque en 2016 puis 2017 les ondes gravitationnelles se sont ajoutées aux ondes électromagnétiques, aux rayons cosmiques et aux neutrinos comme moyen d’observer le cosmos, la communauté scientifique s’est enthousiasmée.

Et son excitation s’est nourrie des découvertes annoncées alors : confirmation de l’existence des trous noirs avec la première détection baptisée GW150914, puis naissance de l’ « astronomie multimessager » avec ondes gravitationnelles grâce à l’ événement GW170817.

VIDEO : Les ondes gravitationnelles, qu’est-ce que c’est ? (Futura, 2016)

Cinq ans plus tard, qu’en est-il ? Que s’est-il passé depuis et quelles sont les perspectives pour les prochaines années ? Cet article propose de répondre à ces questions sous l’angle des détecteurs d’ondes gravitationnelles.

​Un réseau mondial des détecteurs

Les premières détections des ondes gravitationnelles ont représenté l’aboutissement d’une aventure scientifique de presque quarante ans.

Un aboutissement certes, mais également le début d’une nouvelle phase, aussi excitante sur le plan scientifique que la première, et riche de nombreux défis technologiques. Il s’agit de faire des ondes gravitationnelles un outil d’observation de l’univers à part entière, c’est-à-dire multiplier les détections et analyser les signaux recueillis de manière globale, pour en tirer toutes les connaissances possibles sur les sources qui les ont émis.

À ce jour, toutes les détections ont été réalisées par des détecteurs terrestres géants formant un réseau global dont les données sont mises en commun et analysées ensemble par les collaborations internationales qui ont construit et exploitent ces instruments hors norme.

Les différents détecteurs terrestres d’ondes gravitationnelles. LIGO India est un projet qui devrait se concrétiser dans les prochaines années © Caltech / MIT / LIGO Lab (via The Conversation)

Les deux détecteurs LIGO se trouvent aux États-Unis : à Hanford dans l’état de Washington et à Livingston en Louisiane. À Cascina, en Italie près de Pise, le site de l’ European Gravitational Observatory (EGO), accueille le détecteur européen Virgo.

Au Japon, le détecteur souterrain KAGRA, plus récent que LIGO et Virgo, se prépare à rejoindre le réseau. Enfin, le projet d’un troisième détecteur LIGO situé en Inde devrait se concrétiser dans la prochaine décennie.

​Chasser le « bruit » parasite

Quel que soit le domaine, une détection revient toujours à faire ressortir un « signal » d’un « bruit » parasite qui pollue sa mesure en le couvrant, en partie ou totalement. La reconstruction de la partie signal dépend de la conception de l’instrument et du traitement des données enregistrées.

Mais concentrons-nous sur la partie « lutte contre le bruit », qui sous-tend l’évolution des détecteurs d’ondes gravitationnelles depuis plus de 25 ans. Toutes les personnes qui ont tenu en main un poste de radio ont fait l’expérience du réglage de l’orientation de son antenne pour remplacer un grésillement pénible par la musique émise par la station cherchée. Il se passe un peu la même chose pour les détecteurs géants Virgo ou LIGO.

Leurs données contiennent en permanence du bruit dont il s’agit de contrôler le niveau, de mieux comprendre les origines et, ensuite, de le diminuer le plus possible, par étapes. Cela commence dès la conception de l’appareillage en sélectionnant ses composants et en les assemblant avec soin – pour construire l’équivalent d’un poste de radio « (très) haute fidélité ».

​Entre prise de données et améliorations

Ensuite, une fois l’instrument assemblé et fonctionnel, il s’agit de le régler au mieux, de manière qu’il soit le plus performant et le plus stable possible.

Un détecteur n’est pas figé dans le temps, tant s’en faut : on peut – et on doit – l’améliorer pour détecter plus et détecter mieux. Mais ces actions sont souvent invasives : modifications importantes d’une partie du détecteur, changements de pièces, etc. Elles ne sont donc pas compatibles avec les prises de données pendant lesquelles l’instrument doit fonctionner en continu avec des temps d’intervention réduits au minimum.


C’est pourquoi LIGO et Virgo ont alterné ces dernières années phases d’amélioration et prise de données. Chaque interruption fait potentiellement rater des ondes gravitationnelles (puisque celles-ci continuent à arriver du cosmos de manière aléatoire) mais le but est que les progrès réalisés pendant un arrêt soient tels que la prise de données suivante permette de rattraper le « temps perdu » – en engrangeant bien plus de détections que si la prise de données précédente avait continué sur les mêmes bases.

​Des détecteurs plus sensibles et plus stables

Fin août 2017, les deux détecteurs LIGO et Virgo clôturent leur campagne de prise de données 2016-2017. L’arrêt qui commence alors va durer une vingtaine de mois, jusqu’à fin mars 2019. Cette longue période est mise à profit pour améliorer les trois outils, tant au niveau de leur sensibilité que de leur stabilité.

Un détecteur plus sensible permet de mettre en évidence des signaux plus faibles : soit de nouvelles sources encore inconnues, soit des sources d’un type déjà connu, mais plus lointaines – l’amplitude d’une onde gravitationnelle sur Terre diminue avec l’éloignement de la source.

Et un instrument plus stable autorise non seulement des prises de données plus longues et plus régulières, mais aussi un réglage plus fin de son fonctionnement – les scientifiques ont plus de latitude pour l’étudier – ce qui améliore encore plus sa sensibilité. En bref, un cercle vertueux de progrès qui se répondent et s’enchaînent.

​Des résultats marquants pour la période 03

Le 1er avril 2019 commence une nouvelle prise de données LIGO-Virgo, appelée « O3 » (pour « Observation Run 3 ») et prévue pour 12 mois au total.

Une première campagne de six mois dure jusqu’au 1er octobre 2019. Elle est suivie par un mois d’arrêt pour les trois détecteurs, afin de faire quelques ajustements et des tests incompatibles avec une phase de prise de données intensive.

Puis par une seconde campagne de six mois également, entamée le 1er novembre 2019. Cette prise de données n’aura au final duré que cinq mois : elle a été interrompue le 27 mars 2020 à cause de la progression de la pandémie mondiale de la Covid-19 et des restrictions associées, décidées dans de nombreux pays.

Un résumé des progrès du détecteur Virgo entre l’été 2017 et la fin de la prise de données O3 au printemps 2020. Plus un détecteur est sensible et plus il pourra voir des sources d’ondes gravitationnelles éloignées. Cette propriété est exploitée sur le graphique ci-dessus qui montre l’évolution en fonction du temps de la « distance de détection record » de Virgo pour des fusions de deux étoiles à neutrons – le même type de source que dans le cas de GW170817. L’axe vertical utilise une unité adaptée pour l’astronomie : le mégaparsec qui vaut environ… 31 milliards de milliards de kilomètres ! À l’été 2017, Virgo affichait une distance de détection record autour de 28 Mpc. Dès le début de O3 (avril 2019) celle-ci montait à 50 Mpc, soit une augmentation de près de 80 %. Et un an plus tard, les 60 Mpc étaient atteints : soit 20 % d’augmentation supplémentaire pendant O3 (un résultat impressionnant vu le peu de temps disponible pour faire des tests lors d’une prise de données) et une valeur au final plus que doublée par rapport à 2017 © La Collaboration Virgo (via The Conversation)

Même si la prise de données O3 s’est terminée prématurément, elle aura été un grand succès sur tous les plans. Au niveau expérimental, c’est la première fois que trois détecteurs aussi performants ont pris des données ensemble pendant une période si longue. Tous ont amélioré leur sensibilité par rapport aux campagnes précédentes et ont réussi à inscrire cette qualité dans la durée.

Des liens vers les résultats scientifiques les plus marquants de la période O3 et des ressources pédagogiques en français associées sont disponibles en ligne. En particulier, on y trouve des informations sur la mise à jour la plus récente du catalogue d’ondes gravitationnelles qui contient maintenant 90 signaux enregistrés sur la période 2015-2020.

Répartition (en pourcentages) du temps passé par le détecteur Advanced Virgo dans différents états pendant la prise de données O3. La part la plus importante – en vert sur le diagramme circulaire et étiquetée « science » – indique la durée de la prise de données : 76 % de O3, soit environ 251 jours complets répartis sur 11 mois. La deuxième part majeure – le « locking », en bleu, un peu plus de 7 % du total – comptabilise les périodes pendant lesquelles le détecteur était en cours de réglage pour l’amener dans sa configuration « science ». Autour de 7 % également, on trouve ensuite la part grise qui regroupe tous les moments où le détecteur avait un problème. Enfin, les 10 % restants – « commissioning », calibration et maintenance – rassemblent toutes les activités faites régulièrement sur le détecteur, pour l’entretenir ou l’améliorer. Ce graphique montre que l’efficacité du détecteur Virgo était déjà élevée pendant O3. La coordination entre les détecteurs LIGO et Virgo a permis d’optimiser l’efficacité du réseau : l’un au moins des trois détecteurs enregistrait des données près de 97 % du temps et, pendant la deuxième partie de la prise de données, les trois instruments ont fonctionné ensemble plus de la moitié du temps ! Cette dernière configuration est la meilleure pour localiser précisément dans le ciel la position d’une source d’ondes gravitationnelles © La Collaboration Virgo (via The Conversation)

​Prochaine étape à la mi-2022

La fin de la période O3 a marqué le début d’un nouveau cycle avec – comme vous l’avez déjà certainement compris – une autre phase d’amélioration (en cours) précédant une nouvelle prise de données (dans le futur) baptisée… O4 ! Ce programme suit actuellement son cours, malgré des complications toujours liées à la Covid-19.

Difficile d’aller de l’avant quand chercheurs, ingénieurs ou techniciens sont confinés et subissent comme tout le monde les effets de la pandémie, quand toute activité demande un protocole particulier pour respecter distanciation et gestes barrière et que les commandes de matériel sont retardées par les fournisseurs, eux-mêmes soumis aux mêmes contraintes !

Ainsi, l’accès à EGO est limité depuis plus d’un an et demi et, pendant longtemps, les personnels dont l’activité ne pouvait pas se faire autrement qu’en présentiel ont eu la priorité pour venir sur le site – tandis que leurs collègues étaient invités à télétravailler.

Deux aspects complémentaires du programme d’amélioration à grande échelle Advanced Virgo Plus Phase I. À gauche, le réglage fin d’un composant du détecteur in situ en maintenant des conditions de propreté drastiques ; à droite, une opération de génie civil pour faire de la place pour un nouvel élément de l’appareillage le long d’un des deux « bras » de 3 km du détecteur © photo de gauche : IFAE – Barcelona (via The Conversation) ; photo de droite : EGO / Fabozzi (via The Conversation)

Le programme actuel de perfectionnement du détecteur Virgo a été baptisé « Advanced Virgo Plus Phase I ». Sans faire pour autant de la sémantique, il est intéressant, avant de conclure, de décrypter ce titre pour mieux comprendre ce qui se cache derrière, tant au niveau des ambitions que de l’ampleur du projet.

« Advanced Virgo » : les détecteurs LIGO et Virgo actuels sont des instruments de deuxième génération – « avancés » donc. Au cours des années 2010, ils ont remplacé les détecteurs initiaux construits et utilisés lors de la décennie précédente. Dès le démarrage de ces projets dans les années 1990, il apparaissait comme probable que ces premiers instruments ne seraient pas assez sensibles pour découvrir les ondes gravitationnelles. Mais ils étaient nécessaires pour démontrer la faisabilité de cette technologie et ouvrir la voie aux détecteurs avancés qui, eux, auraient plus de chance d’atteindre cet objectif.

« Plus » : les améliorations apportées au détecteur Virgo entre l’été 2020 et le printemps 2021 sont très conséquentes et ont quasiment donné naissance à un nouvel outil.

« Phase I » : le programme s’étale en fait sur plus de cinq ans et une deuxième vague d’améliorations est prévue après la période O4. Même si cette phase commencera au mieux dans deux ans, c’est maintenant qu’elle se prépare : bouclage du financement (plusieurs millions d’euros), finalisation du cahier des charges, contrats avec les fournisseurs, production des composants, etc.


Dossier « ONDES GRAVITATIONNELLES »

La prise de données O4 devrait démarrer fin 2022 ; la date exacte sera connue dans les prochains mois. On saura alors si les améliorations apportées actuellement sur les détecteurs Virgo et LIGO auront porté leurs fruits !

Cette analyse a été rédigée par Nicolas Arnaud, chercheur CNRS au laboratoire de physique des deux Infinis Irène Joliot-Curie (IJCLab) – CNRS de l’Université de Paris, Université Paris-Saclay.
L’article original a été publié sur le site de The Conversation.



Déclaration d’intérêts

Nicolas Arnaud est chercheur CNRS, actuellement détaché à l'European Gravitational Observatory (EGO). Il travaille principalement pour l'expérience Virgo.