Nice : « Un faux mouvement et tout se détruit », décrit l'archéologue Sybille Legendre sur son travail dans les fonds marins
INTERVIEW•La responsable des recherches en archéologie sous-marine au Sanca tiendra une conférence vendredi à 16 h à la bibliothèque Raoul MillePropos recueillis par Elise Martin
L'essentiel
- La cellule de recherches en archéologie sous-marine à la métropole de Nice a été créée entre 2009 et 2010.
- Depuis, les projets se sont succédé avec une équipe qui a été formée avant d’observer une épave, où les opérations sont délicates.
- Sybille Legendre, responsable des recherches en archéologie sous-marine au Sanca revient sur les dernières recherches de terrain, qui viennent de se clôturer.
A partir de mardi, et pendant quinze jours, les services archéologie et environnement de la métropole Nice Côte d’Azur, avec la participation de la maison de l’environnement et le soutien de l’académie de Nice, organisent « Océan 21 » à l’occasion de la journée mondiale des océans, organisée le 8 juin. Des animations, des débats et des conférences autour du patrimoine marin, de la biodiversité marine et de la préservation de ce patrimoine invisible.
Sybille Legendre, responsable des recherches en archéologie sous-marine du Service d’archéologie Nice Côte d’Azur (Sanca), y participera et y dévoilera les dernières découvertes de son équipe. Elle revient avec 20 Minutes sur ce côté « fascinant » de « la recherche des traces de l’Homme » dans les fonds marins.
Quelles sont les dernières trouvailles faites dans la Méditerranée par le service des recherches en archéologie sous-marine de la métropole ?
Nous venons de passer quatre semaines entre le mois d’avril et le mois de mai, sur le terrain, dans la rade de Villefranche-sur-Mer. Ce projet s’intitule « Villefranche IV » parce que c’est la quatrième épave recensée à cet endroit. À l’origine, c’est une association de plongeurs, Anao, qui l’a découverte en 2009. Pour cette première année de recherche, supervisée par le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), nous nous sommes concentrés sur les questions de base : la longueur, la largeur, s’il y a une quille ou non, où se situent l’arrière et l’avant. Ensuite, nous essaierons de savoir où l’épave a été construite, avec quel arbre, à quelle époque. Pour cette étape, nous allons travailler avec des spécialistes du bois et de la céramique, entre autres, pendant plusieurs mois avant de rendre notre rapport.
Qu’est-ce qu’on peut dire de « Villefranche IV » après les fouilles de terrain ?
Nous constatons que l’état général est très dégradé, le bois est mangé par les vers ce qui rend difficile les relevés car il se délite comme un gruyère. Nous avons également relevé qu’il y avait une quille ce qui peut nous aider à délimiter le périmètre de navigation. Le bateau est positionné tel que l’avant regarde vers la sortie de la rade, donc vers le sud. Il faisait 20 m de long et cinq de large. Pour l’instant, nous essayons de ne pas trop imaginer quelle était l’histoire de cette épave pour éviter les fausses joies. Les conclusions seront, je l’espère, communiquées au mois de décembre.
Pourquoi avez-vous mis onze ans entre le signalement de l’épave et le début des recherches ?
La cellule de recherches en archéologie sous-marine a été créée entre 2009 et 2010 mais avant d’investiguer sur une épave, il fallait se faire la main sur des choses plus simples. En effet, l’équipe qui travaille dans ce service a des compétences professionnelles en termes de plongée mais pas forcément en archéologie. Ce sont des curieux et il était nécessaire de les sensibiliser et de les former avant de manipuler. Un faux mouvement et tout peut se détruire, comme nous l’observons avec « Villefranche IV » ! Nous avons alors commencé par la jetée Saint-Lambert, la première tentative de création de port à Nice au XVIIe siècle. Ça a permis à la dizaine de membres de se repérer dans l’espace et de travailler ensemble. Puis, nous avons exploré le Palais de la Jetée-Promenade, qui date de 1883. Nous y avons travaillé sans rien voir car l’eau était trop opaque et nous avons appris à faire des relevés. Le prochain projet sera de reconstituer le paysage côtier et de faire une modélisation des recherches en créant une carte. Aujourd’hui, il y a la promenade des Anglais et la plage des galets, mais à l’époque romaine, comment c’était ?
Selon vous, pourquoi est-ce important d’effectuer ces recherches sous-marines ?
Grâce à ces recherches, nous pouvons comprendre la place de l’être humain vis-à-vis du milieu marin. Comme il n’y a pas de traces visuelles, le but est de les retrouver dans la mer et de développer des projets autour de ces histoires. C’est fascinant ! Et puis, il y a la plus-value d’être en relation avec tous les gens de la mer. De plus en plus, ce sont des plongeurs qui signalent des découvertes ou des pêcheurs qui remontent des mobiliers dans leurs filets. À partir de là, des navires de guerre ont été explorés. C’est assez incroyable de constater l’ingénierie en fonction des époques. Selon moi, ça nous permet de comprendre notre environnement tout en constatant que nous reprenons des modèles qui ont déjà existé.