Comment produire des aimants plus légers et performants grâce à la chimie moléculaire
MAGNÉTISME•Découvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Aujourd’hui, deux chimistes nous expliquent ce que seront bientôt les « super aimants »20 Minutes avec The Conversation
L'essentiel
- Les scientifiques essayent de créer un nouveau type d’aimants plus légers et moins coûteux à produire, selon notre partenaire The Conversation.
- Pour y parvenir, la chimie moléculaire est la voie la plus prometteuse.
- L’analyse de ces avancées a été menée par Corine Mathonière, professeur en chimie à l’université de Bordeaux, et Rodolphe Clérac, directeur de Recherche en chimie et physique des matériaux moléculaires magnétiques au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Les aimants sont des matériaux présents dans de très nombreux objets de nos vies quotidiennes : ce sont par exemple des constituants essentiels de nos ordinateurs, des microphones, des moteurs électriques d’appareils ménagers ou même de turbines d’éoliennes. Pour certaines applications, comme dans les smartphones ou les satellites, ces aimants doivent être à la fois légers et de petite taille.
Les aimants sont généralement des solides constitués de métaux purs, d’oxydes métalliques ou d’alliages métalliques. Malgré leur utilisation intensive et leur énorme succès dans les applications technologiques, la production d’aimants pose des problèmes environnementaux et économiques. Certains éléments chimiques nécessaires à leur élaboration, comme les terres rares présentes dans les aimants les plus puissants connus aujourd’hui, sont inégalement répartis sur la planète ou difficiles à isoler. De plus, la fabrication des aimants nécessite souvent des procédés réalisés à haute température qui consomment beaucoup d’énergie.
Afin de remédier à ces problèmes, les scientifiques essayent depuis environ 3 décennies de créer un nouveau type d’aimants en assemblant des molécules pour créer un édifice aux propriétés désirées. L’élaboration de tels assemblages moléculaires se fait à température ambiante, ce qui rend leur fabrication facile à reproduire et peu coûteuse. Cependant, il y a encore quelques mois, les performances des aimants moléculaires (température de fonctionnement, capacité d’attraction…) étaient encore très loin de celles des aimants conventionnels.
Photo d’un aimant lévitant au-dessus d’un supraconducteur © Peter Nussbaumer / Wikipedia CC-BY SA 3.0
Récemment, dans une étude publiée dans Science, nous avons démontré qu’il est désormais possible d’obtenir des aimants moléculaires avec des caractéristiques comparables aux aimants conventionnels.
Qu’est-ce qu’un aimant ?
Un aimant est un matériau qui développe naturellement un champ magnétique, et qui possède deux pôles : un pôle nord et un pôle sud. Selon l’orientation de ses pôles magnétiques (souvent symbolisée par une flèche), un aimant est capable d’attirer ou de repousser d’autres substances. Le champ magnétique créé par un aimant est lié à sa structure microscopique, en particulier à la présence d’électrons « célibataires », qui ont des propriétés quantiques fascinantes.
En effet, la mécanique quantique permet de décrire la physique des électrons grâce en particulier au « nombre quantique de spin ». Celui-ci peut être considéré, au niveau de l’électron, comme l’équivalent du champ magnétique au niveau macroscopique de l’aimant. C’est pour cela qu’un spin est aussi souvent symbolisé par une flèche.
Dans un aimant, les spins des électrons s’alignent de manière concertée, pour générer un champ magnétique macroscopique, c’est-à-dire mesurable à l’échelle du matériau. Cet alignement collectif est possible lorsque les électrons célibataires sont suffisamment proches les uns des autres pour communiquer entre eux (on parle en physique d'« interaction magnétique »). Cependant, cet alignement collectif des spins des électrons est perturbé par la température qui désorganise leur alignement. Les électrons célibataires sont donc soumis à deux effets antagonistes : les interactions magnétiques qui ordonnent leur spin et génèrent la propriété d’aimant, et l’agitation thermique qui tend à s’opposer à leur organisation. La température à laquelle ces deux effets se compensent parfaitement est appelée la température de Curie. Cette température est une caractéristique importante des aimants car en dessous de celle-ci, l’aimant fonctionne et possède une aimantation spontanée alors qu’à plus hautes températures, l’agitation thermique gagne et l’aimantation spontanée disparaît.
L’aimantation spontanée résulte d’une compétition entre les interactions magnétiques entre les spins des électrons, qui les alignent, et l’agitation thermique, qui désordonne l’ensemble © Elsa Couderc & Rodolphe Clérac
Dans les aimants conventionnels, les électrons célibataires appartiennent aux métaux ou à des ions métalliques, et sont suffisamment proches les uns des autres pour que leurs spins interagissent fortement entre eux. Ils créent ainsi un champ magnétique macroscopique. Les aimants moléculaires sont eux constitués de molécules – les « ponts chimiques » – reliant des ions métalliques porteurs d’un ou plusieurs électrons célibataires. La distance entre les spins de ces électrons est alors imposée par la taille de la molécule, ce qui induit naturellement une diminution forte de leurs interactions.
Les aimants ainsi obtenus fonctionnent généralement à basse température (en dessous de -150°C), ce qui rendait inenvisageable, jusqu’à aujourd’hui, leurs applications industrielles à grande échelle.
Vers une nouvelle génération d’aimants
Avec nos collaborateurs internationaux en France, en Espagne, en Angleterre, au Danemark et en Finlande, nous avons d’abord préparé des matériaux moléculaires aux performances magnétiques modestes (avec au mieux une température de Curie de -218°C) en utilisant comme pont chimique la molécule de pyrazine. L’assemblage de cette molécule avec des ions de chrome (Cr) forme des matériaux composés d’un empilement de réseaux carrés, notés Cr (pyrazine)₂, qui serait l’analogue d’un carrelage infini où chaque coin d’un carreau élémentaire est occupé par un ion chrome et chaque arrête par une molécule de pyrazine.
Pour fabriquer des aimants moléculaires, nous avons utilisé une solution d’un sel de lithium – connu pour donner facilement des électrons à d’autres molécules – qui est mis au contact de solides de type Cr (pyrazine)₂, les ions chrome et les molécules de pyrazine captent ces électrons pour former un nouveau matériau de formule chimique Cr (pyrazine)₂ • 0,7 LiCl © Elsa Couderc & Rodolphe Clérac
Afin d’améliorer les performances magnétiques de ces composés, nous avons imaginé un traitement chimique de ces solides (dit post-synthétique) afin d’ajouter des électrons sur les molécules de pyrazine et ainsi augmenter les interactions entre les spins des électrons présents dans le matériau. Le matériau résultant, de formule Cr (pyrazine)₂ • 0,7 LiCl, a ensuite été isolé, purifié et étudié en détail : il est formé d’une alternance de couches de chlorure de lithium (LiCl) et de Cr (pyrazine)₂. Ces dernières ressemblent aux couches présentes dans le composé de départ, mais le traitement post-synthétique a permis d’injecter un électron célibataire à toutes les pyrazines. Le nouveau matériau possède donc des spins à la fois sur les ions chrome et sur les molécules de pyrazine, ce qui permet une grande proximité entre les spins. Ceux-ci peuvent alors interagir fortement. En conséquence, le composé Cr (pyrazine)₂ • 0.7 LiCl est un aimant à 242°C, bien au-delà de la température ambiante.
Une approche simple, efficace et généralisable
Ces travaux montrent qu’il est possible d’obtenir des aimants moléculaires avec des caractéristiques comparables aux aimants permanents que nous utilisons tous les jours. Ces nouveaux aimants présentent plusieurs atouts extrêmement intéressants. Tout d’abord, ils sont formés à température ambiante à partir de molécules simples et d’ions métalliques disponibles en grande quantité, ce qui rend leur fabrication bon marché, facile et non énergivore.
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Comme ils sont beaucoup moins denses en métaux que les aimants conventionnels, ils sont aussi 5 à 7 fois plus légers. Ceci pourrait être un avantage décisif pour leur application dans les domaines de l’aéronautique, du spatial ou des technologies mobiles.
Enfin, la nouvelle stratégie de synthèse de ces aimants basée sur une modification post-synthétique de matériaux déjà formés est complètement générale et applicable à de nombreux autres matériaux. Elle offre donc de larges perspectives pour la préparation d’une toute nouvelle famille d’aimants légers à haute température.
Cette analyse a été rédigée par Corine Mathonière, professeur en chimie à l’université de Bordeaux, et Rodolphe Clérac, directeur de Recherche en chimie et physique des matériaux moléculaires magnétiques au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
L’article original a été publié sur le site de The Conversation.